Dans la nuit du samedi au dimanche, quelques éléments avancés des troupes nationales font une incursion à l'intérieur de Tolède, afin de se rendre compte des risques de résistance. Mais les Rouges ont déjà presque tous évacué la ville. Le général Varela fait couper, au nord, toutes les communications avec Madrid, et l'attaque a lieu dans la journée du 27.
Au matin, la colonne centrale attaque de face, pendant que la colonne du colonel Barron barre les routes du Nord, et qu'une troisième colonne, suivant le Tage, tient les ponts d'Alcantara et Saint-Martin.
A 10 heures et demie, la colonne centrale du colonel Asensio Cabavilles attaque, ayant en tête le premier tabor des regulares de Tetouan et la cinquième bandera du Tercio, commandés l'un par le commandant de Oro, l'autre par le capitaine Tieden. Les troupes chargent à la baïonnette, sous une violente fusillade. Maison par maison, la lutte continue, acharnée.
Le commandant Barcelo voulait abandonner la ville dès la veille, mais ses hommes, qui se sont défendus avec un beau courage, ont refusé de laisser la place aux nationalistes. La porte de Visagra est forcée à une heure de l'après-midi, à l'instant même où la colonne Barron atteint le Christ de la Vega. Dès que les Cadets de l'Alcazar voient entrer les soldats du commandant Muzzin (le premier qui ait franchi ses remparts), ils commencent à mitrailler les miliciens qui se trouvent pris entre deux feux.
A 8 heures du soir, on se bat encore dans les rues de Tolède. Les Rouges ont perdu près de mille hommes au cours de la journée ; les autres se sont enfuis par le pont Saint-Martin, où ils se sont ouvert un passage à coups de fusils.
L'Hôtel de Ville tombe à 9 heures ; puis, à 9 heures et quart, l'événement merveilleux, inouï, à quoi le monde n'osait plus croire, le fait indicible arrive, avec la simplicité surprenante, l'humilité magnifique de toutes les choses vraiment grandes. Dans la nuit noire, les Cadets de Tolède, les gardes civils, les phalangistes, les femmes, les enfants et jusqu'aux bêtes, tous sortent en désordre des ruines encore fumantes de l'Alcazar et se jettent dans les bras de leurs libérateurs !
Les femmes s'agenouillent, se signent, les hommes s'étreignent, se congratulent, battent des mains, en criant : Viva España ! Puis ils guident leurs sauveurs vers ces souterrains, témoins de tant de misère et de patience ! On leur montre les deux enfants nés pendant le siège, et dont l'un, fils d'un sergent de la garde civile, joint à son prénom chrétien de Ramon, le prénom espagnol d'Alcazar-Restituto.
On voudrait que ces malheureux sortissent tout de suite de leurs tragiques catacombes, mais il y reviennent malgré eux : ils semblent ne plus pouvoir les quitter ! Habitués à vivre là depuis des jours et des jours, sous les bombardements qui brisent les nerfs, annihilent la pensée, ce calme subit, inattendu, les étourdit, les affole ! Il ne leur semble pas possible que ce soit vraiment fini ! Parmi tous ces êtres hirsutes, loqueteux, comme hébétés par ce qui leur arrive, on voit soudain surgir le cheval de course du capitaine Silio. Efflanqué, squelettique, le pauvre animal qui fut jadis un splendide pur sang, ne sait où poser ses pattes : il n'avance qu'en titubant, tourne en rond, l'air hagard, au milieu des décombres... Lui non plus ne veut pas quitter l'Alcazar !
Les assiégés vont, ce soir, y faire le plus beau festin de leur vie. Pour ce banquet de la libération, on tue les dernières mules (il en restait quatre, qui eussent permis de tenir six jours encore, à raison de deux cents grammes de viande par personne) ; on met en perce un tonneau de cerveza, et l'on débouche la bouteille de Xérè qu'on a gardée pour l'offrir à celui qui entrerait le premier dans l'Alcazar.
Puis tous s'endorment, pour la première fois sans angoisse, sous la protection de leurs frères d'armes.
Quand le colonel Moscardo a dû tout à l'heure rassembler ses officiers et ses soldats dans la cour de l'Alcazar, pour recevoir le général Varela, il s'est avancé vers lui, puis, au garde à vous, il l'a salué par ces mot :
- Ici, rien à signaler, mon général.
Henri Massis et Robert Brasillach, Les Cadets de l'Alcazar