Le débat sur le « mariage pour tous », mais également ceux sur les retraites, la fiscalité, bref, la politique politicienne semble contrainte à une emprunte langagière qui n’irait pas sans peiner les rad-soc de la IIIe République. Tout commença lors de la campagne présidentielle de 2012 ou plutôt juste après : souvenez-vous, la passation de pouvoir n’avait même pas encore eu lieu que la très adroite (mais peu à droite) Nathalie Kosciusko-Morizet accusait Patrick Buisson, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy durant la campagne, d’avoir voulu « faire gagner Maurras ». A l’origine de ce procès pour maurrasisme – donc extrémisme, donc fascisme – la « droitisation » des discours de campagne de l’ex-Président, notamment autour des thèmes de l’immigration, d’une possible renégociation des accords de Schengen – qui rappelons-le, font de l’Europe une énorme passoire à clandestins – et – grand dieu du libéralisme, ayez pitié de nous – des accents souverainistes et protectionistes au nom d’une réconciliation entre le pays légal (notamment les élites oligarchiques et les technocrates en tous genre) et le pays réel (comprendre : nous simples mortels).
Cette distinction pays légal – pays réel, on la doit en effet au chef de file de l’Action française, bien que celui-ci en attribue la prime paternité à Blanc de Saint-Bonnet, autre contre-révolutionnaire. Ainsi, Maurras évoquant la Monarchie de Juillet explique : « on appelait pays légal le pays fictif composé des censitaires qui, seuls, étaient élus ou éligibles, quand le pays réel ne votait pas […] Le suffrage universel se flatta d’unifier pays légal et pays réel. Il n’en fut rien ». Cette distinction maurrassienne se trouve si pertinente que nombre de sociologues de l’UE, à l’instar de Paul Magnette, qualifieront la construction européenne d’ « orléaniste » pour caractériser ce décalage entre les élites cosmopolites dirigeantes de la Commission et les « citoyens européens ».
Quoi qu’il en soit, c’est au nom des aspirations du pays réel que Dr. Nico et Mr. Sarko firent campagne sur les thèmes préoccupant réellement les français (il suffit d’étudier le taux d’audience d’ Eric Zemmour pour s’en convaincre).
Oui mais voilà, cette soudaine prise en compte de la réalité ne correspond plus désormais au découpage politique traditionnel « droite-gauche ». Ainsi, quelques jours avant la marche contre l’austérité organisée par le Front de Gauche (5 mai 2013), le NPA avait-il déclaré participer « pour contribuer au plus large rassemblement possible, afin de mettre en échec la politique du gouvernement et défendre la perspective d’une démocratie réelle, par en bas, qui ne peut se matérialiser par le seul changement de numéro d’une République ».
C’est que Maurras exécrait la politique menée au nom d’une idéologie. Fustigeant une centralisation excessive et décrivant un Etat centralisateur « négligeant des grandes affaires et trop soucieux des petites » (Etat qui, par exemple, ferait du mariage homosexuel une priorité au détriment de la lutte contre le chômage) qui « pousse la France à l’anarchisme et la détache de toute idée de patrie ». C’est pourquoi le maître de Martigues urgeait à la reconstitution de la patrie via une certaine décentralisation (une fédération de provinces incarnée dans une monarchie), pour lui « refaire une tête et un corps vigoureux » permettant un « retour à nos lois naturelles et historiques ».
On peut discuter la pertinence des idées maurrassiennes quant à l’organisation du régime, mais on ne peut que constater : dans les discours, dans les aspirations populaires, et qui sait, dans les urnes, la tendance 2013-2014 sera réaliste ou ne sera pas. Espérons que les collections proposées dans le prêt-à-voter politique suivent le mouvement.
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