Maurice n'a pas de chance ce matin. Sa voiture est en panne et sa femme est partie avec les enfants quelques jours chez ses parents. Il va devoir prendre les transports publics. Cela fait au moins 20 ans qu'il n'a plus pris le bus et le métro dans sa ville. De sa banlieue pavillonnaire, Maurice doit se rendre à son lieu de travail où il est cadre dans une multinationale - et au lieu des 45 minutes habituelles de trajet en voiture, il découvre que c'est bien plus long aujourd'hui. C'est surtout l'attente pour les bus en retards, les correspondances ratées, le trajet dans les rames bondées de gens aux heures de pointe qui prennent le plus de temps. Près du double du temps qu'il met d'habitude. S'il trouve le fait de marcher un peu très rafraîchissant par rapport à celui de rester dans sa voiture et d'être coincé dans un embouteillage à lire ses emails sur son Blackberry, il a vraiment détesté être écrasé comme une sardine, et bousculé par cet amas de gens grouillant. Il dégouline de sueur, le contact de tant de gens le met mal à l'aise. Il ne se souvient pas que, du temps où il était étudiant et prenait le métro souvent, il y eût autant de gens. Et puis la composition a changé. Là où, à son époque, tout le monde, ou presque, était, comment dire, "comme lui" sur le plan ethnique, maintenant, c'est différent. C'est lui qui est minoritaire. Il n'a rien contre les étrangers, mais il trouve tout d'un coup que la composante ethnique de sa ville ressemble beaucoup à celle des pays où il voyage parfois pour affaires. Et que de monde ! Les escalators : pleins ! Le bus : plein ! Le métro : plein ! Enfin arrivé à son bureau, il se sent libéré de ce monde dont il ignore tout. Ouf ! Tiens, il ne trouve plus son portefeuille.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique