Jean-Vincent Placé, président du groupe EELV au Sénat, dépose une proposition de loi "visant à créer une taxe environnementale sur les mégots à la charge des fabricants de tabac". Une première mondiale qu'il souhaite voir reprise dans toute l'Union européenne.
Pauline Delpech Jean-Vincent Placé, pourquoi proposez-vous de créer une taxe environnementale sur les mégots de cigarettes?
Jean-Vincent Placé L'interdiction de fumer dans les lieux publics mise en oeuvre en France en 2007 et 2008 a été une excellente mesure pour la santé publique. Elle a permis de protéger du tabagisme passif les non-fumeurs, et notamment les mineurs, les enfants, les salariés des lieux de convivialité, mais également, on l'oublie trop souvent, les fumeurs eux-mêmes. Cette réforme a cependant créé au moins deux nuisances importantes: les nuisances sonores engendrées par les consommateurs qui sortent dans la rue pour fumer, ce qui peut entrainer de réelles crispations avec le voisinage, et la prolifération des mégots, jetés à terre sans que cela provoque le moindre sentiment de culpabilité chez le fumeur. Jeter son mégot par terre est malheureusement devenue une bien mauvaise habitude.
Pauline Delpech Le mégot est un vrai problème pour l'environnement?
Jean-Vincent Placé Oui, car il ne s'agit pas que d'une pollution visuelle: le mégot est une véritable source de pollution. La fumée de cigarette contient quelque 4000 substances chimiques, qu'on retrouve pour une part importante dans les mégots, qui mettent près de 12 ans pour se dégrader totalement. Ainsi, un seul mégot peut polluer à lui seul plus de 500 litres d'eau, ou 1 m3 de neige. Le problème prend toute sa mesure lorsqu'on prend conscience des chiffres: 53 milliards de cigarettes sont vendues chaque année en France dans le réseau officiel des buralistes, et entre 15 et 18 milliards de cigarettes sont achetées à l'étranger mais consommées en France. Il y a donc potentiellement 70 milliards de mégots qui peuvent être jetés chaque année dans la nature en France. Dans le monde, c'est 5000 milliards de cigarettes qui sont fumées chaque année, et donc autant de mégots qui se retrouvent dans la nature, dans les rivières, dans les océans. Le mégot est en outre un vrai danger pour nombre d'espèces animales.
Pauline Delpech Le problème n'est pas pourtant pas nouveau...
Jean-Vincent Placé Vous avez raison, et cela fait d'ailleurs longtemps que les associations environnementales alertent sur ce sujet. Il est regrettable que l'ancienne majorité n'ait rien fait sur ce sujet au moment où le gouvernement a adopté le décret d'interdiction de fumer dans les lieux publics. Les mairies commencent aujourd'hui à se plaindre notamment du surcoût qu'entraîne cette pollution nouvelle.
Pauline Delpech C'est donc une nouvelle application du principe "pollueur-payeur"?
Jean-Vincent Placé Exactement! Et au nom de ce principe, il me semble normal que cette taxe nouvelle soit payée par les fabricants de tabac afin de les responsabiliser et de les inciter à évoluer en la matière.
Pauline Delpech Concrètement, comment est-ce que cela fonctionnera?
Jean-Vincent Placé Je propose un principe extrêmement simple: une taxe de 0,05 centime par cigarette, soit 1 centime par paquet de 20 cigarettes, redevable annuellement sur la base des volumes vendus. Cette taxe serait maintenue chaque année, tant que la pollution générée par les mégots subsiste. Aux fabricants de tabac de proposer des solutions alternatives prouvées scientifiquement, et contrôlées par les pouvoirs publics. Le système de distribution du tabac en France, centralisé et contrôlé par la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI) permet de savoir, à l'unité près, combien chaque fabricant de tabac vend de cigarettes en France. Par exemple, British American Tobacco France, le plus petit des quatre gros fabricants qui se partagent le marché français du tabac, a vendu quelque 8,5 milliards de cigarettes en France en 2011. Sa taxe serait donc d'environ 4,5 millions d'euros par an. Pour Philipp Morris, leader du marché en France, la facture serait de près de 10 millions d'euros par an. Au total, cette taxe environnementale rapporterait 26,5 millions d'euros par an. Je propose qu'une partie soit reversée aux collectivités locales au travers de la DGF.
Pauline Delpech Mais vous pensez que les fabricants de tabac vont accepter?
Jean-Vincent Placé Evidemment, comme d'habitude, les fabricants de tabac vont pousser des cris d'orfraie, en menaçant de répercuter cette taxe sur les prix, augmentation qui entraînerait diront-ils une hausse de la contrebande, et donc une perte de recettes pour l'Etat, etc. Nous connaissons la chanson, c'est toujours la même, et pourtant les bénéfices de l'industrie du tabac augmentent chaque année un peu plus. Cette question des bénéfices de l'industrie du tabac pourra d'ailleurs faire l'objet si besoin de propositions complémentaires.
Pauline Delpech Ne pensez-vous pas que cette taxe sera répercutée sur le prix de vente des cigarettes?
Jean-Vincent Placé Je ne crois absolument pas à une répercussion d'une telle taxe sur les prix.
Rappelons tout d'abord qu'il existe des centaines de références de cigarettes. Rappelons en outre que les prix du tabac ne peuvent évoluer que quatre fois par an, après publication des listes des prix proposées par les fabricants de tabac au Journal Officiel. Donc si le prix de tous les paquets de cigarettes augmentait du même montant le même jour, nous pourrions légitimement avoir des doutes sur une pratique concertée sur les prix, sur une entente illicite sur les prix. Cette menace de répercussion peut d'ores et déjà être considérée comme sans fondement.
Pauline Delpech Vous pensez que le gouvernement va accueillir favorablement cette proposition, dont la mise en oeuvre serait une "première mondiale"?
Jean-Vincent Placé Je suis persuadé que oui! Une telle taxe environnementale sur les mégots n'a jamais été créée. La France s'honorerait de prendre une telle initiative qui pourrait être ensuite utilement suggérée aux 26 autres pays de l'Union européenne pour application immédiate. Je proposerai d'ailleurs à nos députés européens d'EELV de porter cette idée à Bruxelles.