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Channel: ORAGES D'ACIER
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Ce quelque chose qui vient de rompre, c'est notre foi dans le messianisme millénariste du Progrès

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La crise a commencé en 2008 avec l'implosion de la bulle des subprimes n'est pas une crise ordinaire. Intuitivement, tous les observateurs l'ont compris. Quelque chose s'est déréglé dans notre monde, quelque chose qui gisait tout au fond de notre manière de vivre, de notre manière de produire, de notre manière de consommer - et même de notre manière de penser. 
     Ce quelque chose qui vient de rompre, c'est notre foi dans le messianisme millénariste du Progrès.
     Depuis trois siècles, l'homme occidental s'était fait à l'idée qu'il n'avait pas besoin de Dieu, puisqu'il était son propre sauveur. L'humanité était le Messie de l'humanité : voilà ce que proclamait la religion nouvelle. Une religion entrée dans le monde catholique sur la pointe des pieds, avec Descartes. Une religion, aussi, qui avait fini par se substituer, partout, à l'antique croyance. 
    On rit parfois du Djoutché, cette assez ridicule idéologie nord-coréenne dont l'unique article est que l'homme peut transformer la nature indéfiniment. On a tort : sous des formes bien sûr plus sophistiquées, tous les systèmes contemporains sont appuyés sur ce postulat de toute-puissance humaine. La Chine a brisé la maison de Confucius et s'est convertie avec frénésie à la religion de la croissance. L'Inde éternelle, même l'Inde, s'est mise à penser l'avenir sous la forme d'une courbe ascendante. 
     Toute l'humanité, progressivement, est entrée dans la communion naïve d'une nouvelle religion, bien moins rationnelle qu'elle ne le semble : la technoscience pour accomplir les miracles, la banque pour servir de temple à l'idole monétaire. Ultime idéologie, victorieuse sur les cadavres du jacobinisme, du libéralisme classique, de la social-démocratie, du communisme et du fascisme, le néolibéralisme monétariste conduisait l'humanité au Millenium, vers le Paradis terrestre, depuis longtemps perdu, et bientôt retrouvé.
     Fausse promesse. Attention : piège. On aurait dû se méfier. Depuis quelques décennies, la façade du temple progressiste commençait à se fissurer....
     Dès les années 70, de mauvais coucheurs avertissent : on ne peut pas développer un projet de croissance indéfinie dans un monde fini. On balaye leurs arguments : ils ne prennent pas en compte les perspectives scientifiques. 
     Dans les années 80, l'effondrement de l'URSS, faisant suite à la catastrophe de Tchernobyl, donne à réfléchir à tous ceux qui le veulent bien : ainsi, les très grands systèmes sur-intégrés logistiquement peuvent imploser d'un seul coup, une fois un certain seuil de fragilité dépassé ? Là encore, on refuse de tirer les leçons de l'événement : on préfère mettre l'implosion sur le dos de l'idéologie communiste, sans poser la question du principe de concentration et d'intégration, en lui-même. 
     Dans les années 90, l'Occident s'enivre de son triomphe. Ce sont les années folles de la bulle Internet. Peu importe que le monde matériel humain soit fini : le capitalisme envahira des univers virtuels, qu'il fabrique lui-même. Mais le rêve s'achève brutalement, quand le "modèle" introuvable de la "nouvelle économie" révèle sa nature profonde : un mirage, une illusion. S'il y eut une chute vertigineuse au tournant du millénaire, ce ne fut pas celle des tours jumelles, mais bien l'effondrement des espérances placées dans le virtualisme, porte de sortie des contradictions internes de plus en plus insurmontables d'un système capitaliste rendu fou par la confusion permanente entre la carte monétaire et le territoire économique. 
     On décida, une fois de plus, de ne rien voir, de ne rien savoir. Pour maintenir coûte que coûte l'illusion que l'utopie millénariste pouvait construire le sens de l'histoire, les oligarchies financières mirent le système économique sous perfusion, shootant littéralement l'économie des États-Unis avec de la dette, encore et encore. Ce fut une entreprise absurde, et qui en outre dénonçait toute l'absurdité de la machine sémantique produite par le monétarisme néolibéral parvenu à maturité.

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