Cette absurdité ne pouvait avoir qu'un temps.
A l'automne 2008, ce temps prit fin.
Retour à la limitation.
Michel Drac, avant-propos de Survivre à l'effondrement économique, Piero San Giorgio
A l'automne 2008, ce temps prit fin.
Un grand frisson parcourut l'échine de l'animal aux cent mille têtes - les classes dirigeantes et supérieures. En catastrophe, on réinjecta du dollar dans le système, comme autant de signe qui ne recouvrait rien, mais qui permettait encore, pour quelques années peut-être, de faire tourner la machine sémantique, coûte que coûte.
Ultimes manœuvres dilatoires, qui ne changeront, au final, rien ou presque : c'est en fait de l'illusion. Peu importe qu'on maintienne artificiellement les indices boursiers en ramenant à zéro les taux d'intérêt. Casser le thermomètre n'a jamais fait baisser la fièvre. La seule rationalité économique n'est pas capable de fonder le sens de l'histoire. La technoscience ne peut pas tout. On ne peut pas conduire un projet de développement infini sur une planète finie. L'homme ne peut pas avoir tout ce qu'il veut. Il doit vouloir ce qu'il peut.
Retour à la limitation.
L'humanité ne sera pas son propre Messie : la religion humaniste est un échec.
L'animal aux cent mille têtes se comporte réellement comme une bête - et, en particulier, il est aussi dangereux qu'une bête blessée, lorsqu'il sent que son heure est proche. Renvoyés à l'échec du système de croyance qui servait d'habitation idéologique à leur domination, les puissants et leurs kapos vont à présent, pour sauver leur pouvoir, s'efforcer de maintenir la fiction messianique en la restreignant progressivement à eux-mêmes. D'un côté, une humanité supérieure, qui se voudra son propre Messie - pour elle-même et pour elle seule. Et de l'autre côté, une humanité inférieure, renvoyée dans les ténèbres symboliques de l'absence de pensée, c'est-à-dire de l'inexistence du sens - au vrai, dans la négation pure et simple de son statut de sujet autonome, dans l'interdiction même de définir un espace mental d'indétermination à l'égard de ses contraintes. Une humanité à qui l'on aura ôté la peau de l'esprit.
Tel sera le schéma génératif des prochaines décennies. L'avenir est sinistre, autant le savoir : la religion humaniste va se transformer en idéologie anti-humaine.
Ce retournement, qui fera la Bête par ceux-là qui voulaient faire l'Ange, a commencé progressivement dès les années 1970. Mais les années 2010 vont marquer une accélération très sensible dans ce processus. Et la vie, en conséquence sera très difficile, bientôt, pour beaucoup d'entre nous.
Dans ce contexte, l'enjeu de la lutte, pour les hommes véritables, sera bien souvent de survivre. Juste cela : survivre.
Rejoindre les rangs des dominants fous n'est pas une option : on y gagne peut-être l'illusion enivrante d'une supériorité apparente, et à coup sûr des conditions de vie plus décentes ; mais on y perd son âme.
Se résigner à végéter dans la masse des dominés est à peine moins déprimant. Au sein de cette masse opprimée et appauvrie, la violence sera de règle. Nos contemporains ont trop profondément intégré les logiques perverses de la société de consommation pour se convertir, du jour au lendemain, à une simplicité volontaire salvatrice.
La survie se jouera presque certainement à l'écart, dans des refuges qu'il faudra savoir aménager et défendre. Survie matérielle, bien sûr. Mais survie psychologique et spirituelle aussi.
Nous n'avons certes pas là un idéal exaltant. Seulement voilà, c'est ainsi : à ce stade, résister à la machine humaine qui est en train de se mettre en branle, ce sera, souvent, être capable de nous soustraire à sa vue, et d'abord savoir nous passer d'elle.
Un combat modeste, mais certainement pas médiocre.
Car un jour, quand cette machine aura épuisé les possibilités de son élan initial, elle vacillera et tombera. Il suffira alors d'être là, nombreux, soudés, pour reprendre ensemble le contrôle de notre terre, après avoir défendu âprement nos quelques territoires de repli. C'est pour être là, à ce moment décisif, qu'en attendant nous devons survivre.
Alors pas de honte : bâtissons nos refuges ! Souvenons-nous qu'un résistant gagne, s'il tient une heure de plus que son adversaire : organisons-nous pour tenir.
Et donc, mon ami...
On m'efface ce sourire crispé et triste. On lève les yeux, qu'on a si longtemps baissés. On regarde droit devant soi, le regard à l'horizon. On redresse la tête.
Voilà. Ta vie a un sens : survivre une heure de plus que la machine.
Passe le mot : camarade, nos enfants comptent sur toi.
Michel Drac, avant-propos de Survivre à l'effondrement économique, Piero San Giorgio