Je fus éberlué. La politique, je ne savais rien d'elle. Je luis dis, avec la violence de mes vingt-cinq ans :
- Je laisse ça aux ratés ! Les politiciens se font élire par le peuple, à qui ils bourrent le crâne. Ensuite, ils vivent de leur mandat... si possible jusqu'à la fin de leur vie !
Le monsieur me regardait avec surprise. Je me montais au fur et à mesure de notre conversation.
[...]
Il m'écoutait en souriant. Lorsque j'eus vidé mon sac, il déclara calmement :
- Vous avez tort. Vous pourriez avoir beaucoup d'avantages en faisant de la politique. Par exemple, moi, si je voulais m'occuper de vous, je vous ferais avoir la Légion d'honneur, malgré votre jeune âge !
Je le regardai avec stupeur.
- Vous êtes si puissant ? Qu'est-ce que vous faites ?
- Moi, répondit-il, je suis percepteur en retraite. Mais j'ai un haut grade dans la maçonnerie. Je suis 33e. J'entre dans le bureau de n'importe quel ministre à Paris. J'obtiens de lui tout ce qui est possible.
J'étais stupéfait. Il insista :
- Venez avec moi un jour. Vous êtes, comme tous les Français, républicain ?
Je rétorquai :
- Oui, quoique tous les Français ne soient pas tous pour la même République.
Il précisa :
- La République démocratique, bien sûr ! Vous êtes pour les immortels principes de liberté, d'égalité, de fraternité ? Par conséquent, vous avez votre place dans le parti radical.
J'ouvrais de grands yeux :
- Le parti radical ?
[...]
Il affirma, péremptoire :
- Vous verrez, poursuivit-il. Vous côtoierez tous les ministres, tous les hommes puissants. Vous serez délégué à la Fédération du Nord, présidée par Émile Roche, éminente personnalité. Mes amis vous aideront. Ces relations vous seront utiles, même dans vos affaires. Cela peut être très intéressant pour vous dans l'avenir, si vous avez de la patience. Vous aurez rapidement des appuis solides et puissants.
Des relations ! Dans la vie, pour réussir, il faut évidemment des relations. La politique est un moyen de se créer des relations, c'était clair.
Tandis que ce brave homme discourait, je trouvais un grand bon sens dans son propos.
C'est pourquoi, quelques mois plus tard, j'étais membre du comité exécutif du parti radical, délégué de la Fédération du Nord.
Je n'ai jamais été franc-maçon, mais beaucoup d'amis me croient "frère trois points". Bientôt, comme me l'avait prédit le vénérable monsieur du train, j'eus mes petites entrées dans les ministères.
Louis Ducatel, A la force du poignet