Qui est Gilles-Eric Séralini, le chercheur le plus médiatique du moment depuis qu'il a diffusé, le 19 septembre, des phots de rats déformés par des tumeurs qu'il attribue à la consommation de maïs génétiquement modifié, le NK 603 ? Un lanceur d'alerte opiniâtre ou un justicier en blouse blanche prêt à tout pour convaincre ?
En 1991, à 30 ans, il est nommé professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen. "A l'époque, j'enseignais les OGM, dit-il. Cela faisait partie du cursus, il s'agissait de fabriquer des médicaments, pas de transformer les champs et les assiettes en paillasses de laboratoire." Ses premiers doutes surgissent au milieu des années 80.
"C'est un chercheur militant, qui essaie de montrer par la science que ses idées sont justes", lance le Pr. Marc Fellous, qui présidait la Commission du génie moléculaire quand Séralini y siégeait. "Ce qui est grave, c'est que ses conclusions ne sont pas sérieuses, à cause d'un échantillon de rats insuffisant, qui rend les résultats non significatifs", renchérit le Pr. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. En quelques semaines, les agences française et européenne de sécurité sanitaire ainsi que six académies, sans compter le Haut Conseil des Biotechnologies, ont contesté publiquement l'étude de Séralini. Depuis, Food and Chemical Toxicology, la très sérieuse revue où l'article a été publié, est aux abris. Elle prépare un numéro spécial ouvert aux pour et aux contre, avec une réponse de Séralini, dont il a rendu le texte définitif le 12 novembre.
"Dans cette affaire, on a parfois l'impression d'assister à une bataille contre les illuminés et les corrompus", soupire un chercheur français qui a voulu se tenir à l'écart des hostilités. Illuminés ? Séralini, il est vrai, ne fait pas dans la dentelle, lorsque, le 22 octobre, lors d'une conférence de presse à Caen, il déclare qu'"il ne faut pas prendre la santé des enfants en otage" et interroge : "Qui va encore être malade ou mourir à cause de ces produits mal évalués ?" Pour l'instant, personne n'est mort, ni même malade, à l'exception des pauvres rats biberonnés par ses soins.
Mais les scientifiques qui démolissent son étude ne sont pas très à l'aise. Les rapporteurs des six académies qui ont rendu un avis cinglant s'abritent derrière l'anonymat. Pourquoi ? "Pour se protéger des ennuis que pourraient leur causer les activistes écologiques", explique le professeur Bach, le seul courageux à monter en première ligne. On croyait pourtant que les académiciens étaient de grands garçons. A moins qu'ils ne craignent la riposte favorite de Séralini, sur les liens que certains entretiennent avec l'industrie.
Conflits d'intérêts
Celui-ce n'est pas d'ailleurs le mieux placé pour donner des leçons dans ce domaine, son étude ayant été financée pour plus de la moitié (2 millions d'euros sur un total de 3,2 millions d'euros) par le Ceres, groupement créé à l'initiative du patriarche du groupe Auchan, Gérard Mulliez. Une enseigne qui fait depuis le 1er juillet de son étiquetage "100% sans OGM" un argument commercial. Certes, Séralini ne s'est jamais caché de cette collaboration qu'il détaille dans son livres "Tous cobayes ?", paru en même temps que son article scientifique.
En face, en revanche, c'est le grand flou. Beaucoup de chercheurs sont liés, indirectement, à Monsanto. Ils appartiennent en effet à l'Ilisi (International Life Science Institute), créé en 1978 par des géants de l'agroalimentaire comme Coca-Cola, Heinz, General Foods et... Monsanto. C'est le cas de l'ancien directeur de l'Inra Gérard Pascal, l'un des plus prompts à dégommer Séralini. C'est celui, aussi, de Mark Tester, professeur à l'université d'Adélaïde, en Australie, qui ne fait pas mystère de ses activités avec Monsanto, Bayer ou Syngenta, trois géants des OGM. Ou d'une chercheuse à l'université de Californie à Davis, Martina Newell-McGoughlin, l'un des quatre experts de la "task force" mise en place par l'Ilisi sur les OGM.
Ces sommités exercent la plus grande influence sur les agences de sécurité sanitaire. L'Ilisi vend la mèche, se félicitant d'avoir influencé les directives de l'agence européenne, l'Efsa, sur les OGM. Comment ? En créant une "task force" sur le sujet. C'est le docteur Kevin Glenn, président de ce groupe, qui s'en est vanté en 2006, lors d'un atelier qu'il dirigeait à Athènes. Et que fait le docteur Kevin Glenn dans la vie ? Il est l'un des dirigeants de la recherche de Monsanto.
"L'important, ce n'est pas l'indépendance, s'emporte le Pr Fellous, par ailleurs président de l'AFBV, le lobby français des OGM agricoles. Moi je crois à la transparence." Séralini soupire : "La plupart des scientifiques qui m'attaquent ont participé à l'autorisation du NK 603 ou sont liés à l'industrie. Est-ce qu'ils le disent ?"
Le Point n°2097