Bienvenue dans un monde meilleur.
Déprime.
Ca fait peur.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique
J'ai traversé les années 1990 entre études de marketing et carrière rapide. Travail intéressant et bien payé - responsable marketing pour la Suisse, puis pour l'Afrique et enfin pour les marchés émergents dans l'industrie des logiciels.
Stock options et boursicotage avec les amis et les collègues, argent investi sur le NASDAQ, dans les startups de la technologie et d'Internet : Cisco, Netscape, CommerceOne... fric facile, grosses voitures, grand appartement, nanas, voyages en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe de l'Est... je vivais le rêve parfait du jeune cadre dynamique. Je me suis reconnu - comme beaucoup de mes jeunes contemporains publicitaires, financiers ou technologistes - dans Octave, le personnage du bouquin de 99 francs de Frédéric Beigbeder. Pour moi, les technologies allaient bien sûr changer le monde de plus en plus vite et il n'était que normal que des sociétés presque sans revenus et sans profits puissent valoir des milliards en bourse ! En 2000, je fonde ma propre start-up. Arrogant, je pensais que ce qui allait se révéler être une bulle allait me rendre riche et célèbre ! Trip qui allait se fracasser très vite avec l'éclatement de la bulle internet suivie de la chute boursière consécutive aux attentats du 11 septembre 2001. Toute ma fortune, jouée avec des leviers sur les marchés, pfft, volatilisée. Je me suis retrouvé pratiquement cul nu dans ma BMW décapotable.
Bienvenue dans un monde encore meilleur.
C'est pour moi à cette période qu'une prise de conscience a commencé.
Avec le ralentissement des affaires, et réduisant le personnel de ma petite entreprise de 16 à 4 personnes, j'ai découvert que le travail pouvait être difficile, le succès pas aussi évident qu'il l'avait toujours été et que le chef d'entreprise qui doit payer les salaires de sa poche se retrouve seul.
Déprime.
Déprime et dèche qui 'imposent de ne plus sortir, de limiter ma vie sociale, mais d'avoir du temps pour réfléchir. C'est là que j'ai été frappé par l'évidente et flagrante mauvaise foi de l'administration Bush II pour justifier sa politique de guerre contre l'Irak du dictateur Saddam Hussein. C'était trop évident. Je me suis intéressé dans le détail à ce qui se passait dans les coulisses : néoconservateurs, complexe militaro-industrialo-pétrolier et monde la finance. Ça sentait mauvais: Colin Powell et sa fiole bidon au Conseil de sécurité de l'ONU, Dick Cheney en Darth Vador corrompu et corrupteur, George W. Bush en cow-boy simplet... Si on nous ment sur quelque chose d'aussi important qu'une guerre, alors sur quoi d'autre nous ment-on ? Je reprends mes livres d'histoire, je me renseigne sur Internet. A force de creuser, et même sans aller très loin, on trouve. Guerre hispano-américaine de 1898, incident du golfe du Tonkin, attaque du USSLiberty, assassinat des Kennedy, massacre de Bologne, opération Ajax, opération Northwoods, invasion du Panama, guerre du Golfe, 11 septembre 2011... J'avale la pilule rouge. La prise de conscience continue avec grâce à ma confrontation au milieu de la finance de New York, où je travaille avec quelques-uns de mes clients. J'entrevois, je commence à percevoir, la réalité de la manipulation des cours et des marchés par des traders et des banques arrogantes et sans scrupules. Je découvre des analystes, des auteurs et des commentateurs qui dénoncent le système financier. C'est le cas de Niall Ferguson, Nassim N. Taleb, Marc Faber, Gerard Celente, Max Keiser, Pierre Jovanovic, Pierre Leconte, Myret Zaki, Alex Jones et bien d'autres, qui montrent le dessous des cartes. Ah ah ! Voilà comment ça marche !
Ca fait peur.
J'ai vite compris que tout le bla-bla des médias, des débats politiques, le dogmatisme aveugle des économistes, l'incompétence et l'impuissance hallucinante de la classe politique uniquement intéressée à défendre ses privilèges... tout cela ne fait que distraire le public. Comme le souligne l'écrivain français Alain Soral, "Plus le niveau de conscience est élevé, moins on se fait avoir !". En 2005, je profite de la vente de mon entreprise qui, entre temps, a pu survivre et même suffisamment se développer, pour placer l'ensemble de ma fortune - fort modeste désormais - en or. Cela reste le meilleur investissement de ma vie ! Les crises de l'immobilier subprime américain et anglais, les schémas de ponzi de Bernard Madoff et d'autres, l'éclatement de la bulle des Credit Default Swaps ne me touchent pas. Ils ne sont que le symptôme du début d'un effondrement qui va aller en s'accélérant.
Pendant ce temps, ma vie personnelle se stabilise. Mariage, premier bébé. J'en profite pour reprendre un travail salarié dans une société Internet solide et, grâce à de nombreux voyages à travers le monde, à mon expérience et à un peu de chance, je me retrouve dans un poste qui me donne beaucoup de temps libre pour lire et réfléchir.
Au cours d'un voyage d'affaires aux États-Unis, j'ai une nouvelle prise de conscience, économique et écologique, cette fois : un embouteillage monstrueux sur le périphérique d'une métropole, des centaines de milliers de travailleurs pendulaires pare-chocs contre pare-chocs ; la clim de chacune des voitures à fond ; un aéroport bondé avec des avions pleins à craquer décollant minute après minute ; un survol de nuit de la ville illuminée ; des millions de maisons et d'immeubles, la lumière allumée, la climatisation ou le chauffage tournant à fond ; des millions de gens consommant à tout va, d'un centre commercial à l'autre, grouillant et utilisant des milliards de kilowatts-heure, engloutissant des millions de barils de pétrole par jour ; le tout multiplié par toutes les villes de tous les pays du monde. Complexité immense. Consommation d'énergie immense. Pour paraphraser une expression célèbre, nous consommons les ressources de la planète pour acheter avec de l'argent que nous n'avons pas des choses de mauvaise qualité, dont nous n'avons pas besoin, fabriqués par des ouvriers surexploités, pour impressionner des gens que nous n'aimons pas et pour finir dépressifs, insatisfaits et malheureux.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique