Avant d'aller plus loin et de tenter de répondre à cette question, il nous faut définir un principe fondamental pour comprendre comment se comporte l'énergie. Il s'agit de l'entropie. L'entropie définit un processus irréversible : l'énergie utilisée se transforme principalement en chaleur ; cette énergie calorique, une fois dissipée, ne peut jamais redevenir une énergie mécanique. Il en va de même avec les ressources énergétiques de la Terre, qui constituent par définition un capital limité et non renouvelable.
Toute l'économie libérale classique ignore la thermodynamique et la loi de l'entropie, c'est-à-dire l'irréversibilité des transformations de matière et d'énergie. Cette économie ne fait pas la différence entre les stocks et les flux, le capital et les revenus de l'environnement.
La première loi de la thermodynamique dit : l'énergie ne peut pas être créée ou détruite. Elle peut uniquement changer de forme.
La deuxième loi de la thermodynamique dit que l'échange d'état de n'importe quelle quantité d'énergie va uniquement dans une direction : de la concentration à la dispersion. De l'ordre au désordre. C'est pour cela qu'une tasse de thé se refroidit pour atteindre la température ambiante, et non l'inverse. Aucune tasse de thé ne se réchauffe spontanément. Aucun tas de cendres ne se recompose spontanément en bûche de bois, aucun bout de fer rouillé ne retrouve spontanément son état neuf. Aucun mouvement perpétuel ne saurait exister. On ne peut aller que de haute entropie à basse entropie.
A chaque transformation d'état énergétique, on perd un peu d'énergie - et parfois beaucoup - sous forme de chaleur qui se disperse. Cette dispersion de chaleur peut être utile, comme pour nous chauffer en hiver, faire fonctionner un moteur à vapeur ou à explosion, ou encore faire tourner une turbine, mais on perd toujours de l'énergie dans le processus de transformation. En Suisse par exemple, les centrales hydroélectriques génèrent l'électricité en utilisant le poids de l'eau qui, en descendant des lacs de retenue, fait tourner des turbines. Cette électricité est vendue très cher car elle permet de répondre à des moments de la journée où la demande d'électricité est la plus forte. La nuit, alors que l'électricité, notamment nucléaire, est abondamment disponible et peu chère (l'électricité doit être utilisée alors qu'elle est produite, sinon elle est perdue), on fait remonter l'eau dans les lacs par pompage. Il faut beaucoup plus d'énergie électrique pour cette procédure que celle qui est générée par le même volume d'eau. Une absurdité énergétique peut être un avantage économique.
Beaucoup d'optimistes prédisent que de nouvelles technologies peuvent nous aider à faire les choses plus efficacement que dans le passé, à augmenter la productivité, à faire plus avec moins. La technologie peut nous divertir et nous aider à communiquer de manière extraordinaire. La technologie peut aussi nous aider à transformer et à utiliser l'énergie par des applications innovantes, c'est vrai. Mais la technologie ne peut jamais créer l'énergie.
Les nouvelles technologies ne sont que d'une utilité marginale dans beaucoup de situations. Prenons le cas de l'extraction de minerai. Imaginez une mine de cuivre. Lors de mon activité commerciale en Afrique dans les années 1990, j'ai eu la chance de visiter les mines de cuivre de Konkola, Nchanga et Chingola situées dans le nord de la Zambie. Ce sont des mines profondes de 400 mètres. Des pelleteuses immenses arrachent arrachent de la montagne en une seule pelletée un volume de terre équivalent à une villa. Des camions gigantesques hauts comme un immeuble de trois étages transportent des milliers de mètres cubes de terre qui devront ensuite être traités pour en extraire le minerai. Une quantité de diesel considérable doit être utilisée quotidiennement pour que ces machines fonctionnent. La teneur en minerai de la terre qui est extraite est de 0,3%, c'est-à-dire que pour sortir 3 kilos de cuivre, il faut traiter une tonne de terre.
Une fois que le pétrole deviendra coûteux, ce ne sera plus rentable de continuer à travailler de cette manière, et même les matériaux qui ne sont pas encore trop rares deviendront très chers. On peut imaginer que l'extraction s'arrête purement et simplement. Là encore, il s'agit d'une courbe linéaire. Plus la matière première devient difficile à extraire, plus elle demande de l'énergie (fuel pour camions, grues, foreuses, électricité pour les traitements chimiques, etc.). A chaque baisse de la teneur en minerai d'une mine, il y a une hausse inversement proportionnelle - et exponentielle - du coût. Les humains, comme les autres animaux, vont d'abord aux ressources les plus faciles et les moins coûteuses à obtenir : celles proches de la surface, proches des marchés. On travaille d'abord les meilleures terres, on coupe d'abord les plus grands arbres, on commence par les mines ayant le plus haut rendement. Avec le temps, et la rareté aidant, on s'attaque aux matières plus difficiles à atteindre, moins pures, plus coûteuses, plus diluées. Tout cela est moins rentable. L'énergie nécessaire pour les mêmes résultats devient donc de plus en plus grande.
Le charbon suit la même logique et, malgré les informations erronées qui sont souvent rapportées quant à sa disponibilité future, force est de constater qu'il est aussi en grande raréfaction. Le meilleur charbon - l'anthracite - a déjà pratiquement totalement disparu. Il reste en revanche beaucoup de charbon de moins bonne qualité, comme le charbon bitumeux et le charbon sous-bitumeux qui seront encore disponibles pour 40 à 50 ans. Citons aussi le lignite, moins intéressant mais qui reste utilisable, encore disponible pour probablement 50 ans, peut-être 100, si l'économie se tasse un peu et si l'on ne remplace pas le pétrole par le charbon de manière systématique.
Ce phénomène que nous avons pu décrire pour le pétrole et, ici, pour le cuivre et le charbon, se retrouve pour toute ressource non renouvelable : gaz naturel, zinc, nickel, lithium, etc. Dans le tableau suivant, nous pouvons observer le nombre d'années restantes pour ces minerais, nombre qui se fonde sur les réserves connues et sur les taux de croissance et d'extraction prévus :Minerai Années restantes
Argent 12
Or 15
Zinc 15
Plomb 20
Tungstène 23
Cuivre 23
Manganèse 29
Nickel 30
Fer 40
La situation commence à avoir des effets concrets car entre prévision de pénuries, coûts d'extraction en augmentation et spéculation financière, les prix ont violemment fluctué ces dernières années. Surtout vers le haut.
On peut déjà voir que des vols étonnants ont lieu dans les villes et les campagnes occidentales, vols qui ressemblent à ce que j'ai pu observer il y a une quinzaine d'années dans les pays africains : vols de sièges en aluminium dans un stade à Toronto, vols de plaques d'égouts en fonte en Écosse (revendues en Chine, où la pègre locale a volé, en 2006 seulement, 24 000 plaques rien qu'à Shanghai !), vols de fils téléphoniques en cuivre en Espagne et en Hongrie, vol de 136 pylônes en aluminium à Baltimore aux États-Unis. En Inde, huit personnes malchanceuses sont mortes en tombant dans un trou d'égout dont le couvercle avait été volé. En Californie, des gangs se sont spécialisé dans le vol en moins de 90 secondes du platine des pots catalytiques de voitures. Ces faits divers portent à sourire, mais ils sont révélateurs de la situation.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique