L'affaire semble entendue. Leur combat perdu d'avance. François Hollande s'est engagé pendant la campagne présidentielle à ouvrir le droit au mariage et à l'adoption aux couples homosexuels. Il a été élu. Dispose d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. On voit mal ce qui pourrait empêcher les socialistes d'accéder à une vieille revendication du lobby gay et lesbien.
Et pourtant... Depuis que Christiane Taubira, la garde des Sceaux, a annoncé qu'un texte de loi serait présenté en Conseil des ministres le 24 octobre, ils sont quelques-uns à s'être mis en tête qu'il était possible de contrarier ce projet, mené tambour battant et sans concertation préalable par le gouvernement.
Leur profil est pour le moins inattendu. Homosexuel et athée pour Xavier Bongibault. Engagée depuis toujours à gauche pour Laurence Tcheng. Ou figure cathodique des nuits parisiennes pour Frigide Barjot, la plus célèbre du trio, qui depuis son coming out catholique, en 2009, ne perd plus une occasion de mettre sa foi au bout de ses idées. Rien à voir avec les caricatures que les médias aimeraient pouvoir faire des opposants au mariage gay, vite repeints en intégristes réactionnaires et homophobes pour mieux ringardiser leur combat en faveur de la famille traditionnelle. Pas question pour Frigide Barjot, Laurence Tcheng et Xavier Bongibault, de laisser faire. «On a moins de cinquante jours pour mobiliser. C'est une course contre la montre, mais on ne peut pas nous confisquer ce débat», affirment-ils d'une seule voix. «Le débat, c'est maintenant», appuie l'humoriste.
Nous les avons retrouvés à Paris, dans un bar gay du Marais, avant d'être contraints de plier bagage sous la pression de deux clients qui avaient reconnu, derrière la choucroute blonde et la doudoune à poil rose de la parodiste déjantée, les traits désormais bien connus de Frigide Barjot. Ils menaçaient de faire appel à Act Up pour les expulser manu militari. La démonstration même du terrorisme intellectuel dont faisait état, quelques instants plus tôt, Xavier Bongibault. «Nous sommes pris en otage par une minorité d'activistes sectaires qui force au silence la grande majorité des homosexuels. Ce qui fait qu'il est impossible de se prononcer contre le mariage et l'adoption sans craindre d'être traité de réac, voire d'homophobe par les militants LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans, ndlr) et ceux d'Act Up. C'est pour le moins paradoxal dans mon cas!» Le jeune homme de 21 ans esquisse un sourire, puis retrouve un ton plus grave.
«On présente les 3,5 millions d'homosexuels comme pensant d'un seul bloc. C'est faux», explique-t-il pour justifier la création de son collectif baptisé Plus gay sans mariage. Le poids du lobby gay, l'autorité de chiffres assénés et jamais contestés, relayés sans sourciller par des médias complaisants, ne le décourage pas. «Je ne suis pas seul à m'opposer au mariage et à l'adoption. Je ne suis pas seul à considérer qu'un enfant a besoin d'un père et d'une mère, même si beaucoup hésitent encore à le dire haut et fort, de peur de perdre des amis.» Mais il y a pire encore, pour le jeune homme de 21 ans, que cette hérésie: «La pire des humiliations, des discriminations, insiste-t-il, consiste à nous priver de débat. Imaginerait-on une seule seconde qu'une autre grande question sociétale puisse être tranchée ainsi sans débat?» A ses côtés, Laurence Tcheng acquiesce. Pour eux, de toute évidence, la précipitation du gouvernement à vouloir légiférer masque surtout la volonté du pouvoir de s'offrir un peu de répit à bon compte, alors que la cote de popularité du Président est en chute libre et que l'exécutif patine. «Le mariage homosexuel est un paravent qui masque l'incapacité du pouvoir à répondre aux vraies urgences. Nous ne sommes pas dupes», prévient encore Bongibault en déroulant son argumentaire: des usines ferment tous les jours ; le chômage flambe, tout comme les impôts ; la croissance est en berne, sinon à l'agonie ; l'euro tangue, l'austérité guette... Sans dissimuler qu'il est aussi adhérent de l'UMP, il récite son bréviaire d'opposant au pouvoir socialiste, mais c'est lorsqu'il évoque sa vie de jeune homosexuel qu'il est le plus convaincant.
Rien ne justifie le coup d'accélérateur du gouvernement
Surtout, interroge malicieusement Laurence Tcheng, «comment imaginer que François Hollande, qui a fait de la concertation et du dialogue une méthode de gouvernement, puisse refuser d'ouvrir le débat?» Enseignante en ZEP par conviction, cette mère de famille a toujours voté à gauche. Socialiste de coeur, «hollandiste même», tient-elle à préciser, elle connaît le chef de l'Etat sur le bout des doigts. Il a été son professeur à Sciences-Po. Comme Pierre Moscovici, l'actuel ministre des Finances. On ne la lui fait pas. Aussi ne désespère-t-elle pas, avec Frigide Barjot, sa camarade de la promo 1986 - celle d'Arnaud Montebourg, de Jean-François Copé, d'Isabelle Giordano ou d'Anne Roumanoff -, de parvenir à donner suffisamment de la voix pour imposer des états généraux de la famille.
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