La terre est appelée dans la langue mythique la mère du droit. Ceci implique un triple enracinement du droit et de la justice.
En premier lieu, la terre féconde porte en elle-même , au sein de sa fécondité, une mesure intérieure. Car la fatigue et le labeur, les semailles et le labour que l'homme consacre à la terre féconde sont rétribués équitablement par la terre sous forme d'une pousse et d'une récolte. Tout paysans connaît la mesure intérieure de cette justice.
En deuxième lieu, le sol défriché et travaillé par l'homme montre des lignes fixes qui rendent manifestes certaines divisions. Elles sont tracées et creusées par les délimitations des champs, des prés et des bois. Elles sont même plantées et semées du fait de la diversité des champs et des fonds, de l'assolement et des jachères. Ces lignes concrétisent les mesures et les règles des cultures qui régissent le travail de l'homme sur la terre.
En troisième lieu enfin, la terre porte sur son sol ferme des haies et des clôtures, de bornes, des murs, des maisons et d'autres bâtiments. C'est là que les ordres et les localisations de la vie en société se voient au grand jour. Famille, clan, tribu et état, les modalités de la propriété et du voisinage, mais aussi les formes du pouvoir et de la domination deviennent ici publiquement apparentes.
La terre est donc triplement liée au droit. Elle le porte en elle, comme rétribution du travail ; elle le manifeste à sa surface, comme limite établie ; elle le porte sur elle, comme signe public de l'ordre. Le droit est terrien et se rapporte à la terre. C'est là ce qu'entend le poète lorsqu'il parle de la terre foncièrement juste et l'appelle justissima tellus.
Carl Schmitt, Le nomos de la Terre