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Pour Jacques Testart, "le risque de l'eugénisme se précise"

Trente-deux ans après avoir fait naître Amandine, premier « bébé éprouvette » français, le biologiste Jacques Testart appelle à la démédicalisation de la procréation. Dans un nouvel et passionnant essai (Faire des enfants demain, au Seuil), il alerte sur les risques de basculer avant la fin du siècle dans un eugénisme d'ampleur inédite dans l'histoire de l'humanité. 

L'assistance médicale à la procréation (AMP) va devenir, dites-vous, la façon pour tous de faire ses enfants. Pourquoi ? 
Parce que nous allons vraisemblablement être capables de produire sans limites des gamètes à partir de cellules banales. C'est une révolution biologique car jusqu'à présent, on connaît deux lignées bien distinctes : les banales cellules somatiques, et les cellules germinales. Or voilà que les Japonais et les Coréens, notamment à partir des travaux du prix Nobel Shinya Yamanaka, nous montrent sur la souris qu'on peut fabriquer l'une à partir de l'autre. Pour l'ovule cela va tout changer, car c'est la cellule la plus rare ! On va donc être en mesure de produire des embryons in vitro par centaines, et de recourir au DPI (diagnostic pré-implantatoire) pour choisir et transplanter celui qui présente le moins de défauts. L'AMP, qui est actuellement un parcours du combattant, va devenir indolore et sans astreinte puisqu'il suffira de laisser quelques unes de vos cellules de peau au laboratoire. Celui-ci procédera à la transformation cellulaire, puis à la fécondation, à des tests génétiques, et appellera le couple pour le transfert de l'embryon qui aura été choisi. Les couples pourront aussi se faire stériliser pour ne plus avoir à se soucier de contraception : ils pourront quand même procréer quand ils le veulent. Et deuxième révolution : celle de la génétique avec la détection de caractéristiques innombrables, et de l’outil informatique pour en déduire des prédispositions. Il n'y a donc pas de raison que l'AMP ne devienne pas une façon normale de fabriquer sérieusement des bébés, plutôt que de laisser faire le hasard.

Ne peut-on pas imaginer que le bon sens limite les gens ? 
Je constate au contraire que les gens s'accoutument à tout. Dès les débuts de l'AMP, j'ai alerté sur le fait qu'à partir du moment où on avait accès à l'embryon avec neuf mois d'avance par rapport à la naissance et où on en disposait en nombre, on en viendrait à faire du tri. Il y a trente ans le grand public était bouleversé par mes propos. Aujourd'hui, j'ai beaucoup plus d'arguments pour montrer que le risque se précise, mais on me traite d'ayatollah. C'est logique : les gens ont peur d'avoir un enfant anormal depuis toujours; à partir du moment où c'est faisable, ils ne voient pas pourquoi y renoncer. Au départ, le DPI n'est prévu que pour des parents porteurs de maladies graves. Mais comme on sait que souvent un tiers des maladies graves surviennent par une mutation génétique non héritée des parents, on ne voit pas pourquoi on ne se proposerait pas le DPI à tous les parents, pour rechercher toutes les maladies possibles. Cette logique est imparable, on ne peut que l'accepter ou la rejeter en bloc. Seule la pénibilité actuelle de la FIV limite la médicalisation généralisée.

Qu'est-ce que cela va changer pour l'espèce humaine ? 
Quand tout le monde fera son bébé au labo, on prendra l'embryon à disposition qui a le moins de problèmes. Or les problèmes sont les mêmes aux yeux de tous : on éliminera les fortes probabilités de diabète, de cancer, mais on en profitera aussi pour se débarrasser de maux plus bénins; sans parler de choix dans l'esthétique, la taille, le poids. Cela n'est envisageable que si nous avons à disposition une population importante d'embryons. Naturellement, seulement un ovocyte sur 10 000 se transforme en ovule, les autres dégénèrent avant maturité. A partir du moment où on pourra obtenir pour un couple des centaines d'embryons, cela change tout. Car l'eugénisme ne travaille que sur l'effectif. Dès lors on va chercher à améliorer l'humanité, au sens où on va éliminer le maximum de défauts. Ce risque est bien plus concret que la perspective de l'« homme augmenté » par des puces électroniques – l'électronique, ce n'est pas héréditaire !

Le problème c'est la question de la santé de l'enfant à naître paraît aujourd'hui un argument indiscutable  
Oui. Et pourtant à partir d'un tri embryonnaire fondé sur l'idée de santé, on va faire de la normalisation. Car qu'est ce que c'est qu'une pathologie ? Aucun individu n'est anormal en tant que tel, il ne l'est que par rapport au regard d'une société. Or notre vision du normal se restreint toujours davantage. Le seul fait de trier va amener la population a être de plus en plus conforme génétiquement à un modèle –forcément arbitraire. Au bout d'un certain nombre de générations on aura tous un génome à peu près identique. On va faire du clonage social sans passer par le clonage. Mettre fin à la diversité, c'est un changement d'humanité.

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