Je quitte le groupe, je me dirige à grands pas vers le magasin du donjon, j'y prends un rouleau de fil de fer et une pince, marque mon emprunt sur l'ardoise destinée à Thomas. Tandis que je fais ces gestes machinaux, je repense à Catie et à sa suggestion sur l'usage de notre cavalerie, et à Meyssonnier et à sa précieuse remarque sur les meurtrières des merlons. Je m'avise tout d'un coup d'un chose : ce que nous sommes tous en train de faire à Malevil, et vite, très vite, car la vitesse est ici la condition de notre survie, c'est apprendre l'art de la guerre. L'évidence est aveuglante : il n'y a plus d’État tutélaire. L'ordre, c'est nos fusils. Et pas seulement nos fusils : nos ruses. Nous qui à Pâques, n'avions que le paisible souci de gagner les élections de Malejac, nous sommes en train de nous inculquer, une à une, les lois implacables des tribus guerrières primitives.
Robert Merle, Malevil