Considérons par exemple les paysans qui, en travaillant la terre, étaient à la source de toute richesse. Le XXe siècle a été celui de la disparition de la condition paysanne dans les pays occidentaux, reconvertie en industrie ou en objet d'intérêt culturel et touristique.Cette quasi-disparition a radicalement modifié le rapport de l'homme à son milieu naturel de vie, lui faisant perdre de vue l'interdépendance de toutes les composantes de la nature. La vie est devenue une affaire d'artifices, d'illusion de vie hors-sol, oubliant le souci des équilibres naturels. C'est pourquoi, dans la culture globale à majorité urbaine, il n'y a que mépris pour la vie rurale et traditionnelle. Il est devenu normal de croire que les populations du tiers monde vivaient avant l'époque de l'industrialisation et du développement dans des conditions encore plus misérables qu'aujourd'hui. Or, c'est le contraire qui est vrai. Certes, il n'y avait pas d'hôpitaux ni de médecine moderne et la mortalité enfantine était élevée (comme en Europe à la même époque). Mais les récits des premiers voyageurs en terres lointaines concordent sur l'absence de misère, l'abondance matérielle relative et la bonne santé physique (sélection naturelle oblige) qui étaient la règle. Tout comme la paysannerie européenne, ces populations produisaient l'essentiel de ce qu'elles consommaient et se suffisaient à elles-mêmes. La notion même de pauvreté n'avait absolument pas le sens économique qu'on lui donne aujourd'hui dans notre monde marchand. Selon Bernard Lugan, grand spécialiste de l'Afrique, le mot pauvre n'existait pas dans la plupart des langues africaines, son équivalent le plus proche étant orphelin. Les hommes des sociétés traditionnelles possédaient peu de choses mais ne se considéraient pas comme pauvres, d'autant qu'ils étaient tous insérés dans un réseau de relations sociales, de communautés organiques et de familles élargies structurées en clans. Ce que l'on considère aujourd'hui comme de simples fonctions économiques correspondaient alors à des fonctions sociales.
Le premier grand hic de notre nouvelle culture globale est que justement, les fonctions économiques ne peuvent pas entièrement, pas complètement répondre aux besoins humains. Ces besoins de l'être humain découlent de son cerveau qui s'est façonné en trois grandes étapes évolutives : besoins physiques, besoins émotionnels et besoins de sens. Les humains se sentent épanouis et heureux lorsque ces trois types de besoins sont satisfaits.
La consommation passive ne peut pas répondre à tous ces besoins. Si nous voulons être physiquement, intellectuellement et émotionnellement heureux, nous devons être actifs dans ces trois domaines et cela ne peut être le fait que de la socialisation, l'exercice d'une activité ou d'un travail qui donne du sens.
L'erreur majeure du socialisme a été de prétendre que les individus ne sont pas motivés que par l'intérêt personnel et la compétition, or ils le sont. Et même lorsque les humains font quelque chose par amour, ou par générosité, ils attendent souvent quelque chose d'autre en retour, ne serait-ce que de la reconnaissance et de la considération. L'erreur majeure du capitalisme est de penser que les individus ne sont motivés que par le matérialisme et l'intérêt personnel immédiat. Or, la plupart des gens valorisent leur famille, et les relations personnelles plus que l'argent, et sont prêts à faire des sacrifices pour ceux qu'ils aiment.
Le deuxième hic fondamental de notre nouvelle culture globale est qu'elle implique d'être régie par un système qui, sous une apparence de bon fonctionnement, est inévitablement malsain. Ce système porte en lui les graines de son autodestruction. Quelques mythes et valeurs faibles, une gestion par une oligarchie de plus en plus corrompue, l'éloge de l'individualisme, de la futilité et de la stupidité : cela s'appelle la décadence.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique