On pourrait pourtant produire plus si l'on passait à une alimentation à plus faible teneur en protéines animales. En Inde, seulement 5% de la production de céréales va à la nourriture animale alors que cette proportion est de 60% aux États-Unis. La tendance mondiale est celle d'une diète riche en protéines animales, à l'instar des pays occidentaux. La terre agricole supplémentaire n'étant pas disponible pour subvenir à cette demande, les prix des céréales vont fortement augmenter, et les plus pauvres ne pourront plus se nourrir. La production de bio-fuel ne va pas aider au problème car utiliser une partie de la production de maïs pour les véhicules, c'est en soustraire d'autant à l'alimentation. Enfin, en Occident, une grande quantité de nourriture (estimée à un tiers) est gaspillée ou jetée alors que dans les pays pauvres, c'est 10 à 15% des stocks de nourriture qui sont détruits par les rongeurs ou les insectes.
Le résultat de tout cela est que le coût de la nourriture augmente par soubresauts de plus en plus forts et fréquents. En 2007, entre forte croissance de la demande, inondations, sècheresses, augmentation du coût des engrais, et surtout spéculation, les prix alimentaires ont augmenté de 40% en moyenne !
Comment allons-nous faire ? L'Afrique, continent historiquement fertile et peu peuplé, sera habité par un milliard d'habitants d'ici 2025. Avec les terres cultivables, il ne sera pas possible de nourrir que 25% de cette population. Ce sera donc 750 millions d'Africains, souffrant de famine chronique, qui devront être sauvés ou qui vont émigrer, faut de quoi ils subiront une décroissance brutale de leur nombre - euphémisme poli pour dire que des centaines de millions d'entre eux vont crever sur place. Tout cela ne se fera pas sans des troubles considérables.
Beaucoup avancent l'argument des OGM déjà utilisés pour le coton, le soja, le maïs, et qui seraient la solution miracle. Or, les premières années d'exploitation semblent montrer que leur productivité s'affaiblit très vite, sans parler des risques de contamination des cultures normales et de leurs effets encore difficiles à mesurer, mais potentiellement néfastes, sur la santé. La gestion privée des OGM enlève aux agriculteurs les moyens de reproduire eux-mêmes leurs semences et, demain, leur cheptel.
Pourtant, il existe une solution qui, à défaut d'être simple, a fait ses preuves. Dans les pays qui pratiquent encore une agriculture traditionnelle, appelée aussi permaculture ou culture vivrière organique, il n'y a pas de famine, l'eau n'est pas sur-utilisée et il n'y a pas besoin d'engrais. Associées à des politiques de dénatalité, ces initiatives de petits groupes d'agriculteurs, les pouvoirs publics préfèrent subventionner l'agriculture industrielle, destructrice, inefficace à long terme, gourmande en eau, énergie et engrais polluants, mais aux lobbies si bien organisés...
Dès que l'on mentionne les lobbies, on pense à la lutte acharnée des différents pays pour augmenter ou garder leurs quotas de pêche. Or, le nombre de poissons dans la faune océanique a décliné de 90% en un siècle. En 1950, la pêche en mer était de 19 millions de tonnes, en 1997, elle avait atteint 93 millions de tonnes. Depuis, elle n'a cessé de baisser. Dans les océans, il y a des régions où l'on ne trouve plus un seul poisson, des régions qui sont devenues de véritables zones biologiquement mortes. En 2010, plus de 75% des écosystèmes marins sont considérés comme épuisés.
Ma belle-famille va en vacances sur l'île d'Oléron depuis les années 1950, et les histoires qu'elle raconte sont anecdotiques, mais édifiantes : pendant des décennies, il suffisait d'aller faire trempette avec une épuisette pour attraper un très grand nombre de poissons et des poissons exotiques qui, semble-t-il, ont migré à ces latitudes en profitant du réchauffement des températures de l'eau.
Si l'on ajoute à cela que de véritables îles en déchets plastiques grandes comme plusieurs fois la France - se sont formées par accumulation dans l'océan Atlantique et l'océan Pacifique, on se rend compte de l'effet néfaste produit par une industrie insouciante à l'égard des écosystèmes marins, devenus l'ultime bordel du monde. Pire, la quantité même primordiale à la chaîne alimentaire marine, a fortement baissé : moins 40% depuis les années 1950 à cause de la pollution et des changements d'acidité (qui affectent aussi les coraux, autres victimes indirectes de l'activité humaine). Les rivières sont aussi très atteintes, surtout par la pollution, ce qui entraîne la disparition des poissons, comme en Chine, où 80% des rivières n'en n'ont plus. Tout cela s'accélère. A ce rythme, il n'y aura plus d'industrie de pêche d'ici 2050, faute de poissons. Une tragédie pour les communautés de pêcheurs qui n'auront, comme activité alternative, que la piraterie.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique