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Channel: ORAGES D'ACIER
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Ils s'entretiennent mutuellement dans leur connerie

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La Volkswagen d'Aïcha s'arrêta sur la place de la Gare ; j'avais conscience qu'il serait mieux de prononcer quelques paroles avant la séparation. "Eh bien..." dis-je. Au bout de quelques secondes, elle s'adressa à moi d'une voix sourde : "Je vais quitter la région. J'ai un ami qui peut me trouver une place de serveuse à Paris ; je continuerais mes études là-bas. De toute façon, ma famille me considère comme une pute." J'émis un murmure de compréhension. "A Paris, il y a plus de monde..." hasardai-je finalement avec douleur ; j'avais beau y réfléchir, c'était tout ce que je trouvais à dire sur Paris. L'extrême pauvreté de la réplique ne parut pas la décourager. "Je n'ai rien à attendre de ma famille, poursuivit-elle avec une colère rentrée. Non seulement ils sont pauvres, mais en plus ils sont cons. Il y a deux ans, mon père a fait le pèlerinage de La Mecque ; depuis, il n'y a plus rien à en tirer. Mes frères, c'est encore pire : ils s'entretiennent mutuellement dans leur connerie, ils se bourrent la gueule au pastis tout en se prétendant les dépositaires de la vraie foi, et ils se permettent de me traiter de salope parce que j'ai envie de travailler plutôt que d'épouser un connard dans leur genre. 
     - C'est vrai, dans l'ensemble, les musulmans c'est pas terrible..." émis-je avec embarras. Je pris mon sac de voyage, ouvris la portière. "Je pense que vous vous en sortirez..." marmonnai-je sans conviction. J'eus à ce moment une espèce de vision sur les flux migratoires comme des vaisseaux sanguins qui traversaient l'Europe ; les musulmans apparaissaient comme des caillots qui se résorbaient lentement. Aïcha me regardait, dubitative. Le froid s'engouffrait dans la voiture. Intellectuellement, je parvenais à éprouver une certaine attraction pour le vagin des musulmanes. De manière un peu forcée, je souris. Elle sourit à son tour, avec plus de franchise. Je lui serrai longuement la main, j'éprouvai la chaleur de ses doigts, je continuai jusqu'à sentir le sang qui battait doucement au creux de son poignet. A quelques mètres de la voiture, je me retournai pour lui faire un petit signe. Quand même, il y avait eu une rencontre ; quand même, à la fin, quelque chose s'était produit. 

Michel Houellebecq, Plateforme

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