Dans le Libé du lundi 14 août, il n'y a rien sur l'affaire Uramin, malgré une information explosive révélée le 10 août par le grand quotidien sud-africain Mail and Guardian. Uramin, c'est cette société minière achetée par Areva pour 2,5 milliards de dollars en 2007... alors qu'elle ne vaut pas un kopeck (sa valeur vient d'être ramenée à zéro dans les comptes de l'entreprise nucléaire). Or, qui dirigeait Areva à cette époque, et aurait donc fait preuve d'une sidérante incompétence ? Anne Lauvergeon, bien sûr ! Sauf que... cette pourrait ne pas en être une : ce serait en toute connaissance de cause qu'Areva aurait payé un tarif exorbitant pour entrer en possession de mines d'uranium africaines... épuisées. C'est du moins la thèse avancée le 10 août par le Mail and Guardian. Selon ce journal, les dirigeants d'Uramin étant des proches du président sud-africain de l'époque, Thabo Mbeki, ce dernier allait renvoyer l'ascenseur à Areva en choisissant le réacteur français EPR pour le programme nucléaire envisagé par Pretoria. En résumé, les 2,5 milliards payés par Areva pour Uramin seraient un gigantesque pot-de-vin... déguisé en une transaction parfaitement légale. Cette thèse mérite bien sûr d'être confirmée et pour l'heure, bien entendu, toutes les personnes mises en cause la démentent. Mais il faut reconnaître qu'elle est à ce jour la seule à pouvoir expliquer que l'Afrique du Sud ait envisagé d'acheter l'EPR. En effet, qui voudrait d'un réacteur que même ses concepteurs sont incapables de construire ?
Car chacun connaît les déboires incommensurables d'Areva et d'EDF sur leurs chantiers EPR respectifs commencés en 2005 en Finlande et en 2007 à Flamanville (Manche) : prix plus que doublé, malfaçons innombrables, retards inouïs (de 4 à 5 ans). Et ce n'est pas fini. Certes, depuis, deux EPR ont été mis en chantier en Chine et semblent avancer normalement. Mais, comme l'a reconnu Le Figaro (7-10-2010), peu soupçonnable de militantisme antinucléaire, l'autorité de "sûreté" chinoise se fait très discrète pour ne pas ralentir les travaux et, surtout, les Chinois se gardent bien de laisser les Français à la manoeuvre et dirigent eux-mêmes les chantiers. Or les Sud-Africains ne sont pas en capacité d'en faire autant : s'ils achètent des EPR, ils devront laisser faire les Français, ce qui revient à la quasi-certitude d'aller à l'encontre de terribles déconvenues. Donc la thèse de la corruption serait bien, à ce jour, la seule qui puisse expliquer l'intérêt des Sud-Africains pour l'EPR. Et l'article du Mail and Guardian permet à tout média de traiter cette affaire sans risquer d'être attaqué pour diffamation : il suffit de dire, comme nous le faisons, "selon le quotidien sud-africain, etc".
Qu'en dira Libé ?
Pourtant, en France, seule LaTribune.fr a fait son travail (10-8-2012). Fait notable, ce journal n'existe plus que sur Internet et dépend donc désormais beaucoup moins des innombrables pages de publicité achetées par Areva et EDF dans la plupart des journaux. Cet activisme publicitaire constitue un véritable pouvoir sur les lignes éditoriales des médias, comme l'a d'ailleurs montré EDF en punissant La Tribune (quand elle existait encore en version papier) pour avoir osé égratigner... le réacteur EPR (Challenges, 16-11-2011). Même s'il n'est pas seul à faire l'impasse sur les révélations du Mail and Guardian, et même s'il est désormais bien loin de son engagement antinucléaire historique, le quotidien Libération restait un des seuls médias à être encore un peu critique vis-à-vis de l'atome. Sous la surveillance d'Anne Lauvergeon, cette époque est clairement révolue. Surtout lorsque Atomic Anne est directement concernée. Le comble dans cette sale affaire est que Thabo Mbeki a été contraint à la démission, fin 2008, et a laissé la place à Jacob Zuma, un de ses pires ennemis : les efforts déployés par Areva auprès de l'entourage de Mbeki, à commencer par l'achat d'Uramin, auraient de fait été rendus totalement inutiles ! Or, aux dernières nouvelles, les dirigeants sud-africains se préparent à lancer à nouveau un appel d'offres pour la construction de réacteurs nucléaires. Ne doutant de rien, Areva et EDF ont encore prévu de proposer leur pauvre EPR. Libération couvrira certainement avec plaisir cet inévitable nouvel échec et expliquera que, avec Anne Lauvergeon, le succès aurait été au rendez-vous. C'est beau la liberté de la presse.
La décroissance N°92
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