Pour Marc Favre d’Échallens, la déferlante de l'anglais d'aéroport, le globish, dans la publicité et la communication signe un échec culturel dû à une démission des élites. Oublier sa langue, n'est-ce pas s'oublier soi-même?
Si le poisson pourrit par la tête, une nation, quant à elle, se perd en abandonnant sa langue. Mais cette liquidation linguistique, en France et aussi en Europe, n’est pas spontanée. Elle est voulue, programmée et souhaitée par une classe dirigeante qui ne se considère plus comme porteuse des espérances du peuple mais comme les bénéficiaires d’une idéologie mercantile. La cible première est la jeunesse, on vend l’anglais comme une friandise sucrée, sans modération, sans avertissement.
« Happy School » « Stars of School », « University », et autres « Right Way », voilà ce que l’on a proposé, à de rares exceptions près, à nos enfants. Nous avons assisté à l’occasion de la rentrée scolaire 2009 au déferlement du charabia anglo-américain sur les affiches publicitaires, sur les produits destinés à nos enfants, du blouson au cartable, en passant par les cahiers et les classeurs.
Affubler les élèves et les collégiens de slogans en anglais semblent devenir la préoccupation principale de certaines chaînes de magasins qui se vautrent dans le « tout en anglais ». Les enseignes commerciales «Carrefour market » ou « Simply market » en sont la triste illustration.
Sous couvert de mode et d’amusement, les enfants et les adolescents, proies sans défense, sont infiniment sensibles au matraquage continuel du tout en anglais des prédateurs commerciaux encouragés par les naufrageurs de l’indépendance française qui se pensent comme un petit rouage européen de la mondialisation anglophone.
Les grandes surfaces, éponges de l’air du temps, ne sont pas seules en cause. Le monde médiatique est aussi à la pointe de la déferlante anglolâtre destinée aux adolescents avec les « Miss VIP on Board » de M6 dans les trains TGV, les « Free Concerts » d’ARTE et les « Party at Home » de MCM, la chaîne musicale de Lagardère.
Cette intoxication linguistique est complémentaire à la volonté des pouvoirs publics de faire de l’anglais la seconde langue obligatoire en France. Le « plan d’urgence » que Nicolas Sarkozy a présenté le13 octobre 2009 pour l’apprentissage des langues étrangères au lycée en est sa mise en place pratique. Le but avoué par le Président est que « tous nos lycéens doivent devenir bilingues et pour certains, trilingues » et d’enseigner des matières dites « fondamentales » (sciences, histoire, éducation physique et sportive) dans une langue étrangère.
Le pluriel employé dans l’expression « apprentissage des langues étrangères » n’est qu’une rhétorique creuse, il ne s‘agit pas de développer l’enseignement DES langues mais d’une langue : l’anglais et un anglais d’aéroport pour reprendre la formulation de la commission Thélot de 2004. En outre l’utilisation des termes « bilingue » ou « trilingue » relève d’un abus de langage trompeur ou de la méconnaissance de la réalité du bilinguisme et de l’enseignement des langues. À moins que l’acception de « bilingue » soit celle en usage jusqu’au XVIIIe siècle et indiquée dans l’édition 1998 du dictionnaire historique de la langue française dirigée par Alain Rey (Le Robert) : «en deux langues», «fourbe, à la langue fourchue» et encore «ceux qui parlent autrement en particulier qu’en public» !
On ne conçoit bien, on ne travaille bien, on n’achète bien, on ne réfléchit bien qu’avec les mots de sa langue maternelle ; l’emploi forcé d’une langue est toujours cause de déclassement, d’asservissement moral, d’insécurité linguistique et de stress. Faire des Français des zombies décérébrés pour sociétés transnationales, gavés d’anglais, préparés à tous les renoncements par la pâtée médiatique quotidienne, sera le fruit âcre de la substitution de langue. Mais une main-d’œuvre docile qui dira « Yes Sir » aux maîtres du moment est le prix que nos élites sont disposées à faire payer au peuple pour qu’il parle la langue de la mondialisation, des « subprimes » et de la crise économique.
L’anéantissement des langues passe aussi par la destruction des symboles populaires comme le fait actuellement Citroën qui bascule sa communication commerciale en France à l’anglais de pacotille avec comme produit phare la marque DS qui signifie aujourd’hui « Distinctive Series » !« Business center », « national key account manager » sont désormais en usage chez PSA PEUGEOT CITROEN sans oublier le « car policy » qui ne fait pas référence au fameux car de police de Citroën type H ! L’abus d’anglais nuit à la santé mentale d’une nation qui perd ainsi ses repères, ses valeurs, sa résistance et sa cohésion sociale.
Non, il n’est pas temps de changer de langue comme nous enjoignent des publicités dans les transports en commun d’Île-de-France. On voit ce que le « Time to Move » de France Télécom donne comme résultat ! Veut-t-on en faire le mode de fonctionnement de la société française ?
Qu’il est doux de ne plus penser le monde, de ne plus porter le destin collectif de son peuple et de renoncer à être un acteur pensent nos élites mondialisées, ces « profiteurs d’abandon et ces débrouillards de la décadence » comme les appelait le Général de Gaulle. Terminus tout le monde descend ! On veut bien être un « people » mais pas du peuple qui ne parle pas la novlangue ! Se débarrasser de sa langue, c’est trahir son destin collectif et renoncer à une représentation particulière du monde.
Il est temps aux Français de s’unir pour s’opposer à ce nouveau totalitarisme qui commence comme une comptine… en anglais et se termine en un « Apocalypse Now » des langues.
Liquider sa langue, c’est brader son avenir!Source