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L’idéologie du « progrès »

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Quoi de plus « sacré » pour le monde actuel que le « progrès » fondé sur les techniques et les sciences ? On a oublié la prédiction de Nietzsche juste avant les deux guerres mondiales et la terreur des totalitarismes : « un monde de barbarie s’avance et la science se mettra à son service. » Les communistes notamment étaient persuadés d’avoir une vision « scientifique » de l’histoire et de la politique. Que leur « science » soit fausse ne change rien au fait qu’ils en aient fait une idole. 
      Nietzsche a donné un nom à l’attitude du « dernier homme », « l’homme qui ne sait plus se mépriser lui-même » (pour être capable d’aller vers un idéal supérieur) : cligner de l’œil (blinzeln). Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Il leur fait dire ceci :
      "Amour, étoile, création, qu'est-ce cela ? Disent les derniers hommes et ils clignent de l’œil. (...) Nous avons inventé le bonheur ! Disent les derniers hommes. (...) pas de chef et un seul troupeau. Tous veulent la même chose et tous sont égaux. Qui n'est pas d'accord ira à la maison des fous. Autrefois, tout le monde était fou ! Disent les derniers hommes et ils clignent de l’œil !"
     Ce texte est d'une grande richesse. Le dernier homme proclame la mort de tous les idéaux (amour, étoile, création, etc.) qui sont remplacés par celui du bonheur stérile. Ce bonheur de consommateur est garanti à tout le monde dans le mythe de l'égalité de tous. Les grands magasins remplacent les cathédrales car ils sont la "cause finale" du système. Tout est fait pour le but ultime de la consommation. Le progrès est le socle de cette idéologie mais sa morale est celle de l'égalitarisme.Qui n'est pas "politiquement correct" ira dans les maisons des fous. En URSS, cela se passait effectivement ainsi. En Occident, la coercition prend une autre forme : l'exclusion de l'espace public et notamment du champ des médias. Le grand dissident anti-communiste Soljenitsyne avait bien vu cela lorsqu'il avait dit : en URSS règne la censure. En Occident, vous pouvez parler mais cela ne sert à rien. 
     A cela se surajoute une autre caractéristique : la dévaluation du passé: "autrefois tout le monde était fou, disent les derniers hommes et ils clignent de l’œil." En effet, l'idéologie du "Gestell" est l'utilitarisme de la volonté de puissance. Or, la volonté ne peut rien contre le passé. Elle veut donc se venger de celui-ci. D'où une œuvre de destruction qui porte en politique le nom de "révolution". C'est toujours au nom du progrès que l'on fait des révolutions ! C'est pourquoi Heidegger explique que, pour Nietzsche, la possibilité d'aller vers le surhomme et de quitter la décadence des derniers hommes passe par la libération de l'esprit de vengeance. C'est l'esprit de vengeance qui en sous-main inspire le monde actuel : vengeance contre le passé et vengeance sous la forme de l'égalitarisme autoritaire
     On comprend mieux alors ce qui se passe aujourd'hui. On n'apprend plus l'histoire aux nouvelles générations. Lorsqu'on l'apprend, c'est pour célébrer l'idéologie de la repentance. Soit on occulte le passé, soit on le déforme ; ainsi la vengeance contre le passé est assurée. Cette vengeance a aussi un avantage supplémentaire. L'identité est fondée sur la mémoire. En détruisant la mémoire d'un peuple, on détruit son identité. C'est en quelque sorte, un génocide spirituel. 
     On fait en réalité mieux que simplement détruire (zerstören). Comme nous l'avons vu, il y a pire que la destruction, c'est la dévastation (Verwüstung), la création d'un désert (Wüste).
     Selon Heidegger, dans Was heisst Denken ? (qu'appelle-t-on penser ?) : "la destruction n'élimine que ce qui s'est développé ou a été construit dans le passé. La dévastation (désertification : Verwüstung) empêche toute croissance ou toute construction future. C'est bien pire. (...) La désertification de la terre peut aller de pair avec un haut niveau de vie et l'organisation d'un bonheur égalitaire pour tous. De plus, elle est un processus inconscient, elle se cache. La dévastation ou désertification est en son essence l'expulsion de la mémoire."
     Lorsque la mémoire est morte, l'identité se dissout et il n'est plus possible de reconstruire ce qui a disparu. Or, il est nécessaire pour le "Gestell", l'arraisonnement utilitaire, que les hommes soient réduits à l'état de la plus importante des matières premières. Or, pour être le plus facilement utilisable, la matière première doit être composée d'éléments interchangeables. Il faut donc que les hommes perdent toute forme d'identité, notamment nationale, qui pourrait gêner ce caractère interchangeable. C'est ici qu'intervient l'égalitarisme, comme justification de ce processus de dissolution des identités.

Yvan Blot, L'oligarchie au pouvoir

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