Dans une société libérale, la main invisible du Marché est, par définition, toujours plus difficile à percevoir que la main visible de l’État, alors même que le pouvoir qu'elle exerce sur la vie des individus est autrement plus développé. Remarquer l'existence de contrôles policiers permanents ne demande ainsi aucune agilité intellectuelle particulière. C'est donc tout à fait à la portée d'un homme de gauche. Reconnaître, en revanche, l'emprise que Google, par exemple, exerce sur les individus modernes constitue une opération infiniment plus compliquée pour un individu soumis depuis toujours aux techniques du contrôle maternel : "Google Big Brother ?" Pour Olivier Andrieu, spécialiste des moteurs de recherche, le soupçon existe. "Google collecte une masse de données inimaginable. Ils me connaissent mieux que moi-même, explique-t-il. De fait, si vous utilisez l'ensemble de ses services, Google analyse vos recherches, mais aussi le contenu de vos e-mails (Gmail), les vidéos que vous regardez (YouTube), le contenu de votre ordinateur (Google Desktop), ce que vous achetez (via le comparateur de prix Froogle), etc. Des données utilisées pour offrir aux annonceurs des publicités toujours plus ciblées. Google prévoit même, à l'avenir, de s'appuyer sur la localisation géographique de l'internaute, et vient de déposer un brevet sur une technologie naissante analysant le comportement des joueurs en ligne afin de diffuser dans leurs jeux vidéo des réclames correspondant à leur profil psychologique" (Journal du Dimanche, 27 mai 2007). Pour autant, on imagine assez mal la gauche et l'extrême gauche modernes, (toujours prêtes à s'indigner du moindre contrôle policier opéré dans une gare de banlieue) appeler un jour les classes populaires à se révolter contre ce type de contrôle, ou même simplement contre cette omniprésente propagande publicitaire, sans laquelle le dressage capitaliste des humais resterait un vain mot.
Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal