Une figure du renseignement affirme avoir alerté les services secrets français de l'existence d'une piste financière cinq jours après l'attentat de Karachi. Il n'aurait pas été écouté.
Un informateur aurait alerté le contre-espionnage français, quelques jours après l'attentat de Karachi, que ce dernier serait lié à un règlement de comptes financier, et non à une piste islamique, comme l'a longtemps cru la justice. Gérard Willing, 64 ans, ex-journaliste et figure du renseignement, a été auditionné à ce sujet lundi par le juge d'instruction Marc Trévidic.
L'homme dit avoir alerté le 13 mai 2002, soit cinq jours après l'attentat, la DST (Direction de la surveillance du territoire) de l'existence d'une piste financière pour expliquer l'attentat qui a coûté la vie à 14 personnes, dont 11 employés français. «J'ai rendu compte verbalement à de nombreuses reprises de l'avancée de mes investigations au contre-espionnage, qui n'en a tenu aucun compte», affirme-t-il au Monde. Pour prouver ses dires, Gérard Willing évoque une note de deux pages datée du 13 mai 2002 qu'il a remise au juge Trévidic.
«Pour une telle somme, on tue»
Cette note évoque l'hypothèse d'un acte de représailles après l'arrêt de commissions versées en marge de contrats d'armement entre la France et le Pakistan (Agosta), ainsi que l'Arabie Saoudite (Sawari II). Le document parle notamment d'une somme de 120 millions d'euros qui aurait été perçue par l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, ami de Jacques Chirac, alors qu'elle aurait dû échoir au check Ali Ben Mussalem, un intermédiaire proche des autorités saoudiennes.
«Ben Mussalam devait lui-même rémunérer des gens, notamment de l'ISI, les services secrets pakistanais à qui il était lié. Ces personnes ont été furieuses de ne pas toucher leur argent», affirme Gérard Willing au Monde. «Pour une telle somme, on tue», peut-on lire dans sa note.
Le juge Trévidic a demandé la déclassification de cette note, qui n'a jamais été versée au dossier. Selon Willing, «tous les documents» de la DST sur l'enquête Karachi auraient «été détruits». Il aura fallu attendre 2010 pour que les enquêteurs se penchent sur la piste financière, privilégiée aujourd'hui.
Une crédibilité à établir
Lors de son audition, Gérard Willing a également affirmé que la DST «savait tout, dès 1994-1995» sur un financement illégal de la campagne électorale d'Edouard Balladur grâce à ces fameuses rétrocommissions, ce que l'intéressé dément. Une camionnette banalisée aurait «filmé les allers et venues» des personnes pénétrant dans le siège de campagne du candidat à l'élection présidentielle, ainsi que «des valises d'argent liquide». La DST aurait alors demandé à Gérard Willing d'identifier certaines personnes filmées.
Mais Le Monde rappelle que la crédibilité de Gérard Willing reste à établir. Personnage énigmatique, l'homme a été journaliste au Matin de Paris, avant d'être intermédiaire pour des marchands d'armes, correspondant des services secrets français, puis membre de la firme d'intelligence économique anglaise CIEX. «Donnant ses rendez-vous dans des bars et se disant persécuté en France», selon le Monde qui l'a rencontré à Bruxelles, le sexagénaire se dit ruiné «par un homme qui a usurpé son identité et vidé tous ses comptes en banque». «La DCRI», assure-t-il, «a introduit un faux Gérard Willing pour détruire le vrai, tout ça parce que j'en sais trop sur cette affaire de Karachi.»
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