Voilà un livre dont il est difficile de parcourir les pages sans se sentir progressivement gagner par une intense jubilation tant l'auteur met de sagacité et de talent à pourfendre les innombrables idées reçues - il faudrait dire plutôt : imposées - concernant la colonisation. Livre tellement salubre qu'on aimerait le voir inscrit au programme de la fin de l'enseignement secondaire pour remettre les idées en place aux nouvelles générations à l'esprit systématiquement déformé dès leur plus jeune âge par une propagande aussi obsédante qu'insidieuse. Il est vrai que la réputation d'iconoclaste de Bernard Lugan n'est plus à faire : professeur d'histoire de l'Afrique à l'université Lyon-III, conférencier au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM), à l'Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) et au Collège Interarmées de Défense (CID), expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, l'homme est assurément le plus grand spécialiste français du Continent noir auquel il a consacré nombre d'ouvrages aussi documentés que décapants.
Dans ce livre, divisé en une vingtaine de chapitres et illustré de nombreuses cartes originales, il s'emploie cette fois à remettre en cause toute notre perception moderne de ce que fut le phénomène colonial en rappelant un certain nombre d'évidences aujourd'hui trop souvent oubliées. Et d'abord que la colonisation fut, à son origine, une grande idée de gauche puisque c'est au nom des principes philosophiques de l'idéologie des Lumières et en constante référence à la Révolution de 1789 que les dirigeants de la IIIe république lancèrent la France dans la course aux colonies. Poursuivant sa démarche de redressement de la vérité historique, Bernard Lugan expose ensuite, s'appuyant sur de multiples documents, pourquoi les Européens n'ont aucune dette à l'égard de l'Afrique ou des Africains. De manière plus courageuse encore, il dissèque ensuite le mythe de la culpabilité coloniale et démontre comment celle-ci constitue un outil effroyablement efficace pour désarmer l'Europe face à ce qu'il appelle " l'entreprise de contre-colonisation de peuplement " que celle-ci subit de nos jours. Pour lui, en effet, la culture de la repentance-soumission imposée par nos élites dirigeants ne vise qu'à faire des Français, de nouveaux " colonisés ".
Au-delà de son aspect polémique, le principal mérite de ce gros ouvrage est de s'appuyer sur les travaux les plus récents de la recherche universitaire qui apportent des preuves surabondantes du fléau qu'aura été, en fait, la colonisation, pour les sociétés européennes. Bernard Lugan souligne ainsi que, si la prospérité des Européens avait été une conséquence de la fondation des empires coloniaux, le Portugal aurait dû être une grande puissance industrielle. Or, bien au contraire, les pays européens les plus riches et les plus développés sont ceux qui n'ont jamais possédé de colonies, comme la Suède et la Suisse, ou ceux qui ont eu la " chance " de les perdre rapidement comme l'Allemagne et les Pays-Bas. Mais, selon l'auteur, si ces vérités ont tant de mal à s'imposer, c'est qu'une histoire militante et mémorielle, employant des méthodes d'intimidation totalitaires, vise à les occulter pour mieux culpabiliser les Français et leur ôter tout esprit de réaction face à la formidable vague d'immigration qui transforme un peu plus chaque jour leur pays.
Bernard Lugan, Pour en finir avec la colonisation