L'effet le plus redoutable de la culture globale réside dans la perte du lien social. Celui-ci ne pouvait déjà que difficilement résister à l'anonymat des villes, mais désormais, l’État social nous affranchit de l'interdépendance et nous déresponsabilise. Avant, il valait mieux avoir de bons rapports avec sa famille et ses voisins en cas de soucis. L'absence des rites de passage qui structuraient le sens de la vie et les positions sociales se fait aussi sentir par leur remplacement par la mode. Même le système de protection sociale est devenu tellement bureaucratique qu'il favorise les paresseux et les arnaqueurs au détriment des méritants et des faibles. Enfin, le manque de sens moral et de responsabilité des leaders de la politique et de l'industrie est tellement flagrant que l'on ne peut plus sérieusement oser demander à personne de respecter les lois et l'autorité et de montrer le moindre sens civique de base.
Fort heureusement il reste encore une partie de la population qui est saine, physiquement et mentalement. Mais ce n'est même pas un critère essentiel : après tout, de 19333 à 1945, l'immense majorité de la population allemande et autrichienne était composée de gens parfaitement sains et possédant de hautes valeurs morales, probablement meilleures que les nôtres, ce qui n'a pas empêché l'avènement du système nazi. La même constatation peut être faite pour la Russie de Staline, de 1917 à 1953.
La globalisation change aussi la perception de l'identité des populations. Dans une société de nomades, fondée sur des clans, l'identité d'un individu est liée à sa famille, à son clan ou à sa tribu. Dans les sociétés agraires, les identités et les loyautés étaient définies par rapport à l'autorité du monarque et de la religion. Enfin, dans les sociétés industrielles l'identité était construire sur une culture nationale réelle ou mythifiée et sur une composante ethnique en général homogène.
Un grand changement se produit ces dernières années à cause de l'immigration de masse qui apporte un mélange plus ou moins heureux de cultures vivant côte à côte, en plus ou moins bonne intelligence selon les pays et les origines. En effet, là où, par le passé, les migrations de personnes se faisaient soit vers des territoires relativement vides (Australie, Amérique), soit par des invasions, depuis les années 1970, nous sommes passés à une échelle massive, d'une immigration de travail à une immigration de peuplement. L'immigration a cessé d'être minoritaire partout, ce qu'elle était encore dans les années 60, pour devenir majoritaire dans beaucoup de quartiers et de villes. C'est un phénomène que l'on voit s'accentuer dans le monde entier, et particulièrement en Europe et aux États-Unis.
Les catégories populaires des pays touchés par ce phénomène qui quittent certains quartiers ne le font pas par racisme, mais pour retrouver une certaine sécurité, non seulement physique mais aussi relationnelle, un certain entre-soi. Ceux qui ne les quittent pas parce qu'ils ne le peuvent pas s'enfoncent dans le désespoir car ils ne se trouvent plus chez eux chez nous.Or, à un moment donné, il faut bien que sur un territoire, un modèle culturel soit majoritaire. Et si l'immigration et la démographie des populations immigrées font que les autochtones deviennent minoritaires, ceux-ci se sentent en insécurité sociale et culturelle. Ces territoires ne sont pas des ghettos au sens de lieux où les gens seraient assignés à résidence. Ce sont des zones de grande instabilité où le droit de l’État est remplacé par la nouvelle coutume locale ou par la criminalité organisée. Selon le député communiste André Guérin : "L'immigration est une chance pour le capitalisme financier, pour diviser, pour exploiter, pour généraliser l'insécurité sociale, et pour exclure, ghettoïser des millions de familles et de jeunes de la vie sociale et politique."
En 2000, un rapport de l'ONU proposait divers scénarios d'immigration afin de prévenir le vieillissement de la population occidentale. Ce rapport suggérait qu'un pays comme la France accueille, entre 2000 et 2050, 89,5 millions d'immigrés supplémentaires, soit 1,8 million par an. Un vrai plan de colonisation, à moins que ce ne soit le canular d'un bureaucrate ! Et toujours le chantage : les auteurs de ce rapport menaçaient que s'il n'était pas possible de faire appel à cette immigration, l'âge de la retraite allait devoir être repoussé à 75 ans.
En réalité, les catégories populaires ne cherchent pas à se séparer des étrangers lorsque ceux-ci sont minoritaires dans leurs quartiers, lorsqu'ils viennent travailler à une époque où il n'y a pas de chômage, ou encore lorsqu'ils acceptent une certaine intégration et considèrent l'autochtone comme un référent culturel. Lorsque cela n'est pas le cas, l'immigrant doit souvent se plier à des emplois proches de l'esclavage et à des conditions de vie terribles. Cette immigration, souvent illégale, est encouragée et manipulée par les industries qui souhaitent tirer les salaires vers le bas et briser les syndicats qui ne sont pas encore sous leur coupe. Elles sont en cela aidées par les idiots utiles que sont les associations d'aide aux immigrants et par les personnalités bien pensantes du cinéma ou de la télévision. Les classes aisées, elles, ne voient pas le problème de la même manière car elles n'y sont que peu confrontées et on tendance à idéaliser la culture de l'étranger par son côté festif et culinaire. Alors qu'elles sont elles-mêmes préservées de ses formes les plus prononcées, ces classes aisées encouragent souvent la mixité raciale et culturelle, non pas en tant que simple projet personnel entre deux personnes, mais comme idéologie. Rousseau ne disait-il pas déjà au XVIIIe siècle : "Méfiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin de leur pays des devoirs qu'ils dédaignent accomplir chez eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins" ?
Aucune population ne souhaite devenir minoritaire sur un territoire où elle était auparavant majoritaire, pas plus un Américain, qu'un Français, qu'un Belge, qu'un Algérien ou qu'un Tibétain. Comme l'écrivait l'ethnologue Claude Lévi-Strauss "C'est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde."
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique