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Les déprimantes leçons de Chypre

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Samedi, Chypre découvrait avec consternation que l’Union européenne et le FMI ont demandé au gouvernement chypriote de lever une taxe (exceptionnelle, bien sûr) de 6 à 10% sur l’ensemble des avoirs bancaires, après un blocage des comptes en banque, pour sauver le système financier de l’île dont la situation économique devient préoccupante. Heureusement, en France, le week-end se passe sans aucun problème. 

Et c’est ainsi que nous découvrons que Cahuzac, finalement, aurait bien eu un compte en Suisse (Saperlipopette, quelle découverte ! Un politicien qui a un compte en Suisse, voilà qui est tout nouveau). Dans les gros titres de la presse, on apprend aussi que la part des CDD dans l’emploi en France augmente drastiquement.Montebourg déclare avoir sauvé 60 000 emplois et le veau sous la mère ; certains y croient. Pour rire, sans doute. Délit d’initié aux États-Unis. Un soldat français tué au Mali. Un viol collectif en Inde. Tristesse à Caracas : Chavez, claboté en réalité depuis bien trop longtemps, ne pourra pas être embaumé à la Staline. 

Mais de Chypre, point. 

Les captures d’écran de Google Actualités dimanche matin (10:30) ôtent tout doute : tant du côté de l’international que du côté de l’économie, les atermoiements chypriotes n’excitent pas franchement la curiosité.
Il faut aller fouiller dans les pages « éco » des grands journaux pour découvrir quelques articles sur ce qui se déroule dans l’île. Ou alors, le lecteur, résigné mais lucide, laisse enfin tomber les pignouferies d’une presse française obstinément centrée sur son nombril, et se rend sur Contrepoints où l’on trouvera l’article scandalisé du président belge du Parti Libertarien, et un témoignage complet, in vivo, d’une habitante qui explique en détail ce qui est en train de se passer actuellement dans ce pays membre de l’Union Européenne et de la Zone Euro. Bref : ce qui se passe actuellement à Chypre n’intéresse personne, et la presse française sombre une nouvelle fois dans la facilité de n’y consacrer que le minimum syndical pour pouvoir dire « on a traité le sujet », sans cependant pousser le vice à le mettre en concurrence avec les gaudrioles d’un Cahuzac dont, il faut bien le dire, tout le monde se fiche et que personne ne peut décemment croire blanc comme neige (et en plus, il est socialiste). 

Et justement, ce qui ne laisse pas de me surprendre est cette absence de réaction, ou, pour être plus précis, cette réaction particulièrement dosée d’une presse qui n’a pourtant jamais hésité à cogner sur les banques (ultra-néolibérales), les financiers (suppôt du capitalisme démoniaque), le FMI (inféodé à la fois aux politiques turbolibérales de l’Europe et des États-Unis, à Goldman Sachs et au Bilderberg, au moins) ou le reste. Ici, tout semble se passer sur du velours : quelques centaines de milliers d’habitants d’un pays membre de l’Union vont peut-être subir un vol, parfaitement anti-démocratique, en toute décontraction de la part de tous, et personne ne semble vouloir analyser ce qui se passe. 

« En matière de monnaie, les États ont tous les droits et les particuliers, aucun. » 

Certes, à mesure que la grogne des habitants de l’île méditerranéenne monte (et alors que tous les ingrédients d’un bank run se mettent en place), que l’opposition au projet de loi scélérate s’organise, quelques articles apparaissent pour camoufler, peut-être, l’indigence des réactions initiales des médias : il y a protestations, et éventuellement matière à relater les bouillonnements populiste d’une foule mécontente devant son élite gouvernementale (et ça, ça fait vendre, coco !) … 

Mais quand bien même : trois points ne sont toujours pas développés. Pourtant, ils sont essentiels dans ce qui se passe à Chypre et éclairent notre avenir d’une lumière bien triste. 

Ainsi, je n’ai pas encore vu, à cette heure, d’article expliquant pourquoi ce qui se passe là-bas, et qui ne concerne qu’un gros million de personnes, pourrait fort bien se passer en France dans quelques mois, ou, a contrario, pourquoi la France pourrait éviter ces affres financières. Je n’ai pas entendu de comparaison de l’état économique catastrophique de l’île avec celui de la France, de la Belgique, de l’Italie ou de l’Espagne, alors qu’il y aurait matière à faire le rapprochement, d’autant que les banques françaises, espagnoles, belges ou italiennes ont plusieurs fois défrayé la chroniques et pas pour leurs résultats sains et équilibrés… La presse semble marcher sur la pointe des pieds autour de ce sujet-là, pourtant si évident : rien n’interdit qu’un petit samedi matin, dans les mois, les semaines qui viennent, les Français se retrouvent devant des comptes bloqués, des distributeurs automatiques qui ne leur distribuent que des excuses et que tous doivent attendre le mardi suivant pour récupérer leur compte en banque, délesté de 4, 6, 10% … 

Non, décidément, le nombre de personnes concernées, la taille des comptes et la puissance des banques ne sont pas des garanties que ce qui arrive à Chypre n’arrivera pas en France. 

L’autre point évident, c’est qu’encore une fois, on assiste à une socialisation parfaitement scandaleuse des pertes de certains. Un gouvernement, une brochette de politiciens, quelques banquiers véreux, approximatifs ou incompétents, ont placé le pays dans une situation inextricable. Ils ne seront pas inquiétés. Ils ne seront pas poursuivis. Ils ne seront pas tenus pour responsables. Ils ne seront pas ruinés, leurs comptes saisis et leur capacité de nuisance réduite à zéro. Grâce à la socialisation des pertes, si typique d’un capitalisme de connivence qui ne marche que dans des démocraties sociales et socialistes indubitablement corrompues, tous les petits problèmes de ces aigrefins seront résolus sans douleur (pour eux). Et surtout, ce ne seront pas les impécunieux, les dilettantes, les endettés et les voleurs qui sont le plus punis de ce genre de pratiques. Ce seront encore ceux qui ont été prévoyants, qui ont précautionneusement épargné, mis de côté, qui paieront les pots cassés. Au passage, on admirera l’énorme gain de confiance joyeux dans le système bancaire qui va résulter de ce genre d’opérations. De ce point de vue, ce qui se passe à Chypre est une excellente piqûre de rappel pour tous les Européens : en matière de monnaie, les États ont tous les droits et les particuliers, aucun.

Un dernier point me semble évident : la situation économique française me semble suffisamment mauvaise pour ne pas écarter, comme à Chypre, l’éventualité d’une ponction généralisée sur les comptes ; elle se met d’ailleurs en place, avec discrétion, sur le livret A et sur les assurances-vie. Au vu de la façon dont cela s’est passé là-bas, et de la façon dont c’est relaté ici, ne comptez pas sur la presse pour vous prévenir. Ne comptez pas sur ces individus qui prétendent vous informer. Quand ils vous en parleront, il sera déjà trop tard.

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