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Montebourg, l'avocat qui parle de "crime civique" pour défendre son client assassin

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Christian Didier se lève. Juste avant que la cour ne se retire pour délibérer et ne le condamne à dix années de réclusion criminelle. A la veille de retourner au silence de la prison, à cet oubli, à cette solitude qui l'obsède depuis toujours, l'accusé prend la parole une dernière fois. Il est épuisé. «J'éprouve un sincère repentir. Je suis effondré. L'horreur du crime m'a vacciné à tout jamais contre toute forme ultérieure de crime. Je demande pardon. A Dieu d'abord. Tu ne tueras point. Pardon aux juifs pour le procès dont je les ai empêchés. Pardon à la famille Bousquet. Nul n'est responsable de sa filiation.» 

Au matin de cette sixième et dernière audience, formidable paradoxe, René Bousquet est entré dans le prétoire par la volonté de ceux qui voulaient l'en tenir éloigné. Car si le passé de la victime a parfois fait irruption devant la cour, c'est par effraction minimale, murmuré pudiquement par des femmes et des hommes meurtris dans leur chair par la police de Vichy. Aussi, lorsque Guy Bousquet, fils de René et partie civile, se lève pour quelques observations, on peut affirmer que le procès en accusation de René Bousquet n'a pas eu lieu. Voilà pourtant que s'ouvre son procès en réhabilitation. 

Pour celui qui défendait les intérêts de son père jusqu'à sa mort, le 8 juin 1993, le geste de Didier revient à «exécuter, cinquante ans après, ce que la milice française rêvait de faire». «Mon père a sauvé 3.000 Juifs à Marseille. Il est lui-même monté dans les trains pour faire redescendre des femmes et des enfants.» 

Portrait de René Bousquet en résistant de l'Intérieur. Imagerie traditionnelle, dressée de tout temps par ses défenseurs et ses proches. Bousquet resté à son poste sous la botte ennemie, Bousquet en garant d'une autorité française fantasmagorique. Bousquet patriote de la souveraineté. Un portrait au nom du père. 

Lorsque Jacques Chanson, avocat de la partie civile, prend la parole à son tour, il se débarrasse de Didier en trois formules. «Cet homme est malade. Il ne mérite pas la haine, mais la pitié, en raison de son état de santé limite.» Le propos de l'avocat est ailleurs. Bien au-delà «du déséquilibré» qui occupe le box. Sur les traces de Guy Bousquet, c'est René, que l'avocat vient défendre. «Je n'admets pas que l'on continue à salir désespérément la mémoire d'un mort. Du fond de sa tombe, cet homme a toujours droit au respect de la présomption d'innocence.» 

Et voilà que Me Chanson musarde. Revisite la guerre, la collaboration, la résistance. Rend honneur aux hommes restés à leur poste sous l'occupation pour maintenir l'administration française. Le procès de Vichy n'a jamais eu lieu. Et ce manque de repères se fait ici cruellement sentir. Face aux jurés et à leur jeunesse, tout peut être prétendu. Les vérités éclatantes sont présentées comme autant de zones d'ombre. Chaque affirmation historique peut trouver ici son contraire, par une révision lavaliste que rien n'est jamais venu légalement contredire. Dans cette plaidoirie, il n'y a pas de juif. Seulement des «israélites», ces juifs du bout des lèvres. 

Philippe Bilger est debout. Pour l'accusation, l'avocat général tente de définir le malaise qui a parfois traversé les audiences. «Quoi de plus terrible que d'affirmer le crime de Didier univoque, politique, historique? Alors qu'il est équivoque. Quoi de plus contestable que dénier à un être son ambiguïté? Dès que Vichy est entré dans le prétoire, Didier en est sorti. Et chaque fois que Vichy en est sorti, Didier y est revenu.» 

Réquisitoire intelligent, tranquille, sans effet. «C'est vrai, on aurait peut-être souhaité quelqu'un d'autre dans le box. Un criminel plus structuré, plus intelligent, qui vienne dire: J'ai tué un salaud. Jugez-moi. C'est vrai.» Mais Philippe Bilger a décidé qu'il fallait juger Christian Didier. Alors il retrace sa vie chaotique. Sa frustration littéraire. Evoque «la gloire funeste et sombre du crime». 

Soudain, il hausse le ton. «Je refuse par avance le crime civique dont on vous parlera peut-être. En quoi un tel crime honore-t-il le citoyen? Qui peut se permettre de décréter une mort d'utilité publique?» Et puis, il se penche, s'adresse aux jurés en presque confident. «Ce crime est un crime passionnel. Inspiré par la passion de soi. C'est la volonté de donner un sens à sa vie en donnant la mort aux autres.» 

«Didier porte en lui une maladie. Il faut vous interroger sur ce qu'il fera quand il sera libre», termine l'avocat général. Puis, insistant sur une «responsabilité largement atténuée», il «propose une peine de dix à douze ans de réclusion». 

Pour Me Arnaud Montebourg (lire également en dernière page), défenseur de Didier, l'accusé est «vidé. Sans protection. Sans défense. Ses épaules sont trop frêles pour ce geste. Il n'en a pas la force, les moyens, le courage. Mais il est sincère. Et personne ne pourra lui enlever cette sincérité». 

Pendant que son défenseur dresse le portrait d'un homme, Didier regarde le gris de novembre par les fenêtre du palais. Ecoute les mots de ses poèmes, lus à haute voix par son défenseur. Croise et recroise ses mains. Deux fois, les gendarmes l'ont empêché de prendre la parole. Il ne sait ni les rites ni les lois. Lors d'une interruption, il a fallu le sortir de force. On devine sa peur. 

A son tour, pied à pied, avec force et émotion, Me Thierry Lévy répond au banc de la partie civile. Nous sommes retournés à Vichy. Le rafles, les Juifs martyrisés, l'étoile jaune, les lois criminelles. Il reprend les affaires Touvier, Barbie, parle de leurs protecteurs, de ces empêcheurs de procès. «Je traîne derrière moi une importune qui n'est autre que la mémoire», lance l'avocat. Il raconte les mères séparées des enfants. Relit les télégrammes de Bousquet recommandant à sa police de «briser les résistances». Ces gamins du Vel d'Hiv. «Jamais, les crimes racistes et antisémites n'ont été jugés. Par aucun tribunal français. Il n'y a pas eu de procès pour cette bande de criminels. Personne ne pouvait juger Bousquet.» 

Puis, presque douloureux à l'adresse de la cour d'assises: «Le jury de 1995, sachant que les hommes de Vichy n'ont pas eu à répondre de leurs crimes, ne peut condamner Didier sans absoudre Bousquet. Une condamnation renforcerait ceux qui ont pensé qu'on pouvait laver tout ce sang.» 

Après deux heures et demie de délibérations, le jury de la cour d'assises de Paris déclare Christian Didier coupable des faits qui lui sont reprochés et le condamne à dix ans d'emprisonnement. Il est debout, gonfle ses joues , pousse un grand soupir et puis se tait, cherchant le regard de ses avocats comme s'il n'avait pas compris. 

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