Nombreux sont ceux qui prétendent que la fin de l'euro signifierait la fin de l'Europe. Rien ne vient à l'appui de cette thèse. L'Union européenne, qui rappelons-le n'est pas toute l'Europe, est un mécanisme distinct et séparé de l'euro. On doit voir dans ce catastrophisme affiché et dans l'énumération de la longue liste des conséquences potentiellement imputées à la fin de l'euro, auxquelles ne manquent que la peste, les pluies de sang et et les grandes invasions, une volonté d'affoler le public. Il est clair par contre que la poursuite des plans d'austérité, l'ajout continuel de nouvelles mesures régressives tant sur le plan social qu'économique, ne peut que rendre l'Union européenne odieuse aux Européens. Cette union est bien plus mise en danger par la survie de l'euro que par sa disparition. Il est par contre certain que l'Union européenne sera transformée par la disparition de l'euro, mais très vraisemblablement en bien. Quels sont donc les scénarii ?
Le premier, mis en avant par les défenseurs, est celui d'un éclatement total de la zone accompagné d'une "guerre de tous contre tous" dans le domaine monétaire. Disons-le clairement, c'est le moins probable des scénarii. On ne voit pas pourquoi l'Allemagne, l'Autriche et la Finlande dévalueraient dans la foulée de la France, de la Grèce et de l'Italie. Ce scénario qui accumule les hypothèses les plus défavorables n'a pas d'autre fonction que de provoquer la peur de l'avenir.
Un deuxième scénario est fondé sur une scission de l'euro. Certains pays constitueraient alors un "euro du Sud" tandis que, regroupés autour de l'Allemagne, les anciens pays de la zone mark continueraient d'animer un euro devenu "euro du Nord". Cette solution est déjà plus crédible mais ne résout que très imparfaitement les problèmes d'hétérogénéité économique qui minent l'euro aujourd'hui. Il est désormais peu probable.
Un troisième scénario est celui du retour pour un certain nombre de pays aux monnaies nationales, retour accompagné de dévaluations plus ou moins importantes en fonction des besoins. Il vaudrait mieux que la décision de sortie soit prise collectivement pour que puissent subsister les institutions nécessaires à une coordination ultérieure. Ces monnaies nationales pourraient - et même devraient - être liées entre elles par un accord assurant une certaine flexibilité dans les taux de change mais garantissant ces monnaies contre des fluctuations erratiques. D'un accord au principe de la monnaie commune, il n'y a qu'un pas. Ce dernier serait d'autant plus vite franchi que l'idée en aurait été discutée avant même la sortie de la zone euro.
Il est clair que pour qu'un tel accord puisse voir le jour, il faudra impérativement supprimer l'article 63 du traité de Lisbonne, qui interdit le recours aux contrôles de capitaux.On voit bien où git le problème. Il est très peu probable que se dégage un accord, voire un consensus sur ce point. Notons cependant que, si un seul pays d'une certaine importance et dont émanent des flux de capitaux importants établissait ces contrôles à ses frontières, les perturbations que cela entraînerait sur les marchés financiers des autres pays ne leur laisseraient guère d'autre choix que d'introduire, eux aussi, des contrôles similaires. Ce pays serait ainsi capable de piloter son taux de change à loisir quand les autres pays resteraient tributaires des marchés financiers. Ceci ne serait guère tenable et, de proche en proche, tous les pays européens seraient dans l'obligation d'adopter ce système. On peut ainsi considérer que seule une mise au pied du mur de certains de nos partenaires par des mesures prises unilatéralement par la France permettrait de dépasser la situation de blocage sur ce point.
Mais le vrai problème vient plus de la passivité, de l'absence d'imagination, voire de la couardise des politiques. L'absence de toute anticipation de leur part est réellement dramatique et probablement criminelle.
Jacques Sapir, Faut-il sortir de l'euro ?