Les 38 membres du gouvernement, dont le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ont publié lundi l’état de leur patrimoine, un geste de transparence qui jette une lumière crue sur un train de vie parfois très confortable, en pleine crise économique.
Huit millionnaires figurent parmi les 38 fiches disponibles sur le site www.declarations-patrimoine.gouvernement.fr, où l’on trouve les renseignements les plus divers, des biens immobiliers achetés ou hérités aux « véhicules terrestres », en passant par l’état des comptes courants.
Ces déclarations ont été publiées dans la foulée de l’affaire Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre du Budget qui a avoué détenir depuis 20 ans un compte clandestin à l’étranger.
Au total, huit membres du gouvernement dépassent le million d’euros de patrimoine : Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, Michèle Delaunay (Personnes âgées), Marisol Touraine (Santé), Michel Sapin (Travail), Victorin Lurel (Outre-mers), Valérie Fourneyron (Jeunesse et Sports) et George Pau-Langevin (Réussite éducative).
Avec plus de six millions d’euros, Laurent Fabius, héritier d’une famille d’antiquaires, est le ministre le plus riche, devant Michèle Delaunay, à plus de cinq millions gagnés avant sa récente entrée en politique quand elle était cancérologue.
Si l’on compte François Hollande, qui n’est pas couvert par cet exercice mais dont le patrimoine (1,1 million d’euros) a été publié lors de son entrée à l’Elysée, l’exécutif français compte au total neuf millionnaires.
La plupart des patrimoines oscillent autour du demi-million d’euros, les ministres les plus jeunes étant en général bien moins favorisés que leur aînés.
LA MOTO DE LE FOLL
L’inventaire est l’occasion de révélations fantaisistes. On apprend ainsi que le « combi Volkswagen » de Jean-Marc Ayrault est évalué à 1.000 euros, la moto BMW du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, à 300 euros, et que sa collègue de la Justice, Christiane Taubira, possède trois vélos.
Une dizaine de ministres avaient pris les devants en présentant leur patrimoine à l’avance comme Marie-Arlette Carlotti (Exclusion), Cécile Duflot (Logement) et Pascal Canfin (Développement).
Ces derniers ont révélé un patrimoine plutôt modeste, à la différence de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui paye l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), une taxe qui incombe aux contribuables dotés d’un patrimoine net taxable d’une valeur de plus d’1,3 million d’euros.
Son collègue de l’Economie Pierre Moscovici a temporisé, expliquant sur France Inter qu’il était locataire à Paris et que son patrimoine serait bien différent s’il avait fait le choix « il y a 30 ans » d’être propriétaire dans la capitale.
Michèle Delaunay, deuxième du classement, a déclaré vivre cette publication comme « une épreuve ».
« C’est un patrimoine très important. Et difficilement compréhensible de la majorité des Français qui sont dans la difficulté », a-t-elle déclaré à Sud-Ouest. « L’opposition ne va pas manquer de s’engouffrer dans l’image de la socialiste riche ».
Selon un sondage Ifop pour le JDD, 63% des Français jugent nécessaire la publication du patrimoine des hommes politiques, même si 70% auraient pour première réaction « l’indifférence » s’ils apprenaient que le patrimoine d’un élu était élevé.
ÊTRE RICHE ET DE GAUCHE
Malgré cette relative modération de l’opinion, cette opération transparence fait débat dans un pays où l’argent reste un sujet tabou, à la différence des pays anglo-saxons ou scandinaves.
L’exécutif socialiste doit d’ailleurs faire face à la fronde des parlementaires de tous bords qui refusent d’être « jetés en pâture » par la loi sur la moralisation de la vie politique qui devrait voir le jour avant l’été.
Le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, a précisé que les feuilles d’impôts des ministres ne seraient pas publiées et que cela ne figurerait pas dans le futur projet de loi. Le Premier ministre s’était pourtant déclaré favorable à cette démarche la semaine dernière.
Par souci de sécurité, Matignon a précisé avoir fait le choix de ne pas dévoiler les adresses personnelles ni les numéros de comptes bancaires des ministres.
Ce qui n’a pas empêché l’opposition de droite de dénoncer avec force ce « grand déballage ».
« C’est une société de la suspicion qu’on nous prépare, une société du soupçon, une société de la présomption de culpabilité, une société de la jalousie, de l’envie, ce qu’il y a de plus détestable », a prédit sur France 2 le député UMP Henri Guaino.
Le président de l’UMP, Jean-François Copé, a crié au « voyeurisme » sur BFM-TV, dénonçant « un spectacle qui n’a plus rien à voir avec les attentes des Français, une espèce d’écran de fumée qui a été inventé par François Hollande pour essayer de faire oublier le désastre de l’affaire Cahuzac ».
« Pauvre France. On va créer une échelle de Richter des élus les plus riches », a renchéri l’ancien ministre, qui a refusé de publier son patrimoine tant que la loi ne l’y obligera pas.
L’ancien Premier ministre Alain Juppé dénonce sur son blog un « déballage grotesque », décidé selon lui « non par vertu mais pour céder à la pression politico-médiatique ».
L’écologiste Eva Joly ne voit, elle, aucune incompatibilité entre le fait d’être riche, ministre et de gauche.
« Bien sûr qu’on peut être riche et de gauche ! Être de gauche, c’est une position philosophique, une conception de la société », a-t-elle dit sur Europe 1. « Avoir des moyens donne aussi des moyens d’agir sur le monde, ce n’est pas incompatible. Riche et ministre, aussi ».
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