Les grands auteurs étaient aussi souvent de grands buveurs. Mais le plus souvent, ils ne buvaient pas en écrivant.
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Dans mes deux derniers billets, j’ai évoqué la consommation de caféine des artistes et rappelé que de nombreux écrivains du XXe siècle prenaient des amphétamines pour booster leur production. Mais qu’en est-il de l’alcool ? Les grands artistes de l’histoire n’étaient-ils pas souvent aussi de grands buveurs ?
Oui et non. En faisant mes recherches pour mon livre Daily Rituals, j’ai trouvé que si nombre d’artistes buvaient effectivement beaucoup, rares sont ceux qui mélangeaient l’alcool avec leurs heures de travail. Même les alcooliques reconnaissent que boire rend leur production créative un peu trop facile et leur appréciation du résultat un peu trop indulgente. La sobriété est une condition nécessaire à la plupart des travaux artistiques.
Comme l’écrivait George Sand dans son autobiographie: «Il est vrai que je ne crois pas à Byron ivre faisant de beaux vers. L’inspiration peut traverser l’âme aussi bien au milieu d’une orgie que dans le silence des bois; mais quand il s’agit de donner une forme à la pensée, que l’on soit dans la solitude du cabinet ou sur les planches d’un théâtre, il faut avoir l’entière possession de soi-même.»
Les gueules de bois de Bacon
Bien sûr, de nombreux artistes ont trouvé des méthodes pour être en pleine possession de leurs moyens pendant quelques heures par jour et être bourré le plus clair du reste de la journée. Le peintre Francis Bacon est un bon exemple. Il buvait d’énormes quantités d’alcool pendant ses longues nuits en ville, mais il se réveillait toujours aux premières lumières de l’aube pour peindre plusieurs heures, finissant généralement à midi. Même la gueule de bois occasionnelle était une aubaine pour Bacon, qui disait: «J’aime souvent travailler avec une gueule de bois parce que mon esprit a plein d’énergie et je peux penser très clairement.»
De la même manière, Hemingway était un adepte de l’équilibre entre les beuveries nocturnes et le travail du petit matin. Son fils Gregory se souvient que l’auteur semblait immunisé contre les gueules de bois: «Mon père avait toujours l’air en pleine forme, comme s’il avait dormi comme un bébé dans une chambre insonorisée avec ses yeux couverts de bandeaux noirs.»
Echappatoire
Un des problèmes de Bacon, d'Hemingway et de nombreux autres artistes était qu’ils ne pouvaient réellement travailler que quelques heures par jour; après ça, ils avaient besoin de faire des choses qui les éloignaient de leur travail et de leur propre tête. L’alcool était une échappatoire fiable, et de nombreux artistes affirment qu’il les a inspirés. Comme l’écrivait Hemingway: «Quand vous travaillez dur toute la journée avec votre tête et savez que vous devez encore travailler le lendemain, quoi d’autre peut vous changer les idées que de les faire voler sur un autre avion comme le whisky ?»
Quelques décennies plus tard, William Styron a exprimé le même sentiment: «Je n’ai jamais écrit une seule ligne dans ma vie en ayant bu, mais en ce qui concerne son efficacité pour vous relaxer et vous permettre quelques moments visionnaires quand vous pensez à votre travail, c’est d’une grande valeur. Mettons qu’une journée est finie, que vous avez effectué de bonnes heures d’écriture et que vous êtres toujours perplexe pour le lendemain. Le simple fait de boire quelques verres et de penser dans ce mode relâché vous donne souvent des idées très nouvelles.»
L'alcool, un problème
Pour que ça marche, vous devez évidemment être capable de ne boire que quelques verres. Quand il écrivait Tendre est la nuit, F. Scott Fitzgerald a essayé de réserver une partie de chaque journée à la composition sobre. Mais il s’embarquait régulièrement dans des virées alcoolisées et admettra plus tard face à son éditeur que l’alcool avait interféré avec le roman. Il écrivait: «Il m’est apparu de plus en plus clair que l’organisation excellente d’un long livre ou les perceptions et jugements les plus fins au moment de la révision ne se marient pas bien avec la liqueur.»
Le grand acteur comique W.C. Fields est arrivé aux mêmes conclusions. Fields avait commencé à boire sur scène et sur les plateaux parce qu’il pensait que cela le désinhibait et améliorait son timing comique. Mais comme il avait une forte tolérance naturelle à l’alcool, il fallait des quantités de plus en plus grandes pour le maintenir relâché. Il a un jour estimé qu’il ingurgitait «huit ou neuf cocktails, peut-être une bouteille de champagne, et une demi-douzaine ou plus de bouteilles de bière par jour».
Il a longtemps affirmé que l’alcool n’a jamais interféré avec son travail jusqu’à ce que, peu avant sa mort, il confie à un ami sur son lit d’hôpital: «Je me suis souvent demandé jusqu’où j’aurais pu aller si j’avais laissé tomber l’alcool.»
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