En se prononçant en faveur du dépistage systématique des maladies génétiques à partir d’un simple prélèvement de sang de la mère, les «sages» du Comité consultatif national d’éthique précipitent l’arrivée d'un monde à la «Bienvenue à Gattaca».
Les questions dites «de bioéthique» sont souvent intéressantes. Mais toujours moins que les réponses officielles qui leur sont apportées.
Une démonstration vient d’en être faite, sur un sujet majeur, par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui vient de rendre un avis concernant une nouvelle méthode «non invasive» (DPNI) de dépistage des anomalies génétiques du fœtus. Cette technique simplifiée ouvre la voie à un dépistage fœtal à partir d’un simple prélèvement sanguin de la femme enceinte dans le premier trimestre de la grossesse. C’est là une question rarement abordée du point de vue éthique, et ce alors même que le dépistage prénatal de la trisomie est, en France, très largement mis en œuvre et totalement financé par la collectivité.
Le CCNE avait été saisi, le 31 juillet 2012, par le directeur général de la santé Jean-Yves Grall. Ce dernier observait, au-delà de la trisomie, que le séquençage du génome du fœtus, couplé à des techniques statistiques et de biologie informatique, permettait aujourd’hui de détecter les variations génétiques du fœtus de manière très détaillée.
Le Dr Grall rappelait ce qui est devenu une certitude : ces travaux ouvrent la voie au séquençage du génome du fœtus et à l’identification de plusieurs milliers de troubles génétiques au moyen d’une seule prise de sang de la femme enceinte.«De telles avancées biotechnologiques alimentent les questions tenant au risque possible de dérive eugéniste», observait-il, demandant donc au CCNE «une réflexion approfondie et un avis sur les problèmes éthiques et les questions que soulève le développement de cette technique de diagnostic prénatal des anomalies génétiques du fœtus à partir d’un simple prélèvement de sang de la femme enceinte».
Champ de réflexion réduit
Neuf mois plus tard, les «sages» viennent de rendre leur avis sur ces «Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel». Quel que soit le jugement porté, force est de constater que les membres du CCNE ont choisi de réduire le champ de la réflexion qui leur était proposée à propos du «risque de dérive eugéniste». Ils préfèrent évoquer un risque sociétal et, s'ils estiment que le nouveau test non invasif peut constituer «un progrès du point de vue de l’éthique», ils ajoutent que «la question est davantage d’estimer à quelles conditions de tels tests pourraient être utilisés que d’imaginer qu’ils pourraient ne pas l’être».
De fait, sur un tel sujet, on pourrait penser être placé devant une sorte de fait accompli: de tels tests prénataux de sélection génétique existent et sont depuis plusieurs années massivement utilisés, chez près de neuf femmes enceintes sur dix en France. La question ne serait plus tant celle de savoir si leur usage est ou non éthique: elle se réduirait à tenter de préciser, face aux progrès techniques et aux pressions du marché, quelles pourraient être les moins mauvaises modalités de leur utilisation.
Au-delà de la trisomie 21, l’avis du CCNE marque une étape importante, sans doute désormais irréversible, dans la généralisation du dépistage anténatal à un nombre croissant de maladies d’origine génétique plus ou moins handicapantes —dépistage qui pourra être associé à la proposition d’une interruption médicale de grossesse. Les nouvelles possibilités techniques de l’analyse génétique laissent en effet entrevoir à très court terme la possibilité d’une fenêtre systématiquement ouverte sur le génome fœtal à partir d’une simple prise de sang maternel.
Il s’agit là d’une perspective qu’avait développée un film d’anticipation —Bienvenue à Gattaca— qui date aujourd’hui de quinze ans. On peut aussi clairement voir ici une forme nouvelle d’eugénisme, à la fois moderne, scientifique et démocratique, pour reprendre une formule parfois controversée du biologiste de la reproduction Jacques Testart.
«Prise en charge par la solidarité nationale»
Après une diffusion croissante de son usage, le dépistage de la trisomie 21 est, depuis 2009, systématiquement proposé aux femmes enceintes, son coût étant intégralement pris en charge par la collectivité. Il associe aujourd’hui des dosages sanguins (à la recherche de«marqueurs sériques»), des examens échographiques et la prise en compte de l’âge de la femme.
En fonction des résultats, une amniocentèse (examen invasif consistant à prélever du liquide amniotique) peut être proposée à cette dernière pour confirmer le diagnostic. Et, le cas échéant, une interruption médicale de grossesse.
Un nouveau «test génétique fœtal de trisomie 21 sur sang maternel» est en cours d’expérimentation en France. Le CCNE observe qu’il «correspond à une amélioration technique du dépistage (plus grande facilité et moins d’effets secondaires), tel qu’il est pratiqué en France aujourd’hui». Il considère d’autre part que cette méthode «ne modifie pas intrinsèquement la procédure actuelle». De fait, sur le fond, rien n’est changé: la proposition de dépistage faite à l’ensemble des femmes enceintes, de même que son caractère facultatif, ne seraient pas modifiés par rapport à la situation présente.
De plus, la nouvelle méthode revêt aux yeux du Comité «une importance considérable en terme de non-malfaisance» et ce en diminuant le nombre de prélèvements invasifs et potentiellement dangereux:
«Cette simple amélioration devrait être accompagnée d’une prise en charge du test par la solidarité nationaleà supposer que le coût en soit devenu acceptable.»
1 milliard d'euros par an
Les États-Unis et plusieurs pays d’Europe (Allemagne, Suisse, Autriche) ont depuis peu accepté la commercialisation de ces tests «ADN sanguins» permettant de rechercher des anomalies chromosomiques dans les premières semaines de grossesse et dans les délais compatibles en France avec l’interruption volontaire de grossesse.
Le coût actuel est de l’ordre de 1.200 euros à 1.500 euros; soit, si le test bénéficiait à toutes les femmes enceintes, une somme «considérable» de l’ordre de 1 milliard d’euros par an. Mais cette somme baissera d’autant plus vite que ces tests seront largement autorisés et remboursés par la collectivité.
Autre point majeur: la vitesse considérable à laquelle progressent les techniques informatisées de séquençage des génomes. «Dans un avenir proche, il sera techniquement plus simple, et peut-être moins onéreux, d’effectuer un séquençage entier du génome fœtal que de sélectionner des régions d’intérêt et d’en réaliser un séquençage ciblé comme c’est aujourd’hui le cas», prévient l’avis du CCNE. De l’anomalie chromosomique, on pourra de plus en plus facilement passer à l’analyse identifiant les mutations génétiques correspondant à des maladies monogéniques, comme la mucoviscidose, l’hémophilie, les myopathies héréditaires, etc.
Puis viendra le possible dépistage des simples prédispositions pour des maladies où la génétique ne joue qu’une part variable, comme les cancers du sein, du côlon ou de la prostate, le diabète, etc.; ou encore celle de caractéristiques génétiques pouvant correspondre à des traits physiques et/ou psychiques. C’est très précisément l’univers décrit dans Bienvenue à Gattaca ou, de manière plus sobre, celui évoqué par le Dr Grall quand il parle de «dérive eugéniste».
C’est là un débat essentiel mais régulièrement escamoté en France depuis la période où (bien avant les premières lois de bioéthique de 1994) l’on est passé insensiblement du dépistage néonatal systématique (dans le jour suivant la naissance et concernant quatre maladies qui peuvent être aisément soignées) au dépistage prénatal de la trisomie 21 (conduisant le plus souvent à l’interruption médicale de grossesse).
Refus d'une véritable perspective éthique
En ne mettant pas en lumière cette problématique et en se limitant à donner son feu vert à une amélioration technique du dépistage, le CCNE semble se refuser à mettre dans une véritable perspective éthique les vertigineuses possibilités techniques du dépistage et les dérives eugénistes qui leur sont associées. Cette situation est d’autant plus regrettable que la France est, du fait de la prise en charge totale des coûts par le biais de la solidarité nationale, dans une situation sans équivalent.
C’est ce que voulait signaler en 2007 le Pr Didier Sicard, alors président du CCNE, lorsqu’il alertait avec force et sans ambiguïté sur la dérive eugéniste inhérente à la généralisation du dépistage prénatal de la trisomie 21: «La vérité centrale de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non au traitement: ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante, celle de l’éradication», déclarait-il alors au Monde.
Les mises en garde du Pr Sicard ne semblent plus alerter les membres de l’actuel CCNE. Elles ne sont plus guère reprises que par la Fondation Jérôme-Lejeune qui, dans un communiqué de presse, voit dans l’avis n°120 du CCNE une «validation de la “modernisation” de l’éradication des trisomiques». «Dans ce contexte, le CCNE aurait pu faire l’économie des quelques lignes relatives au nécessaire développement dans notre société de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées, ajoute la Fondation Lejeune. Qui peut encore croire que de telles recommandations ont un sens quand une autorité morale valide un dispositif exprimant la stigmatisation, la discrimination et le rejet: la négation de la valeur de la vie humaine handicapée?»
A l’opposé, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens salue l’avis du CCNE. Avant même sa publication, ces professionnels de la grossesse et de la naissance avaient déclaré souhaité pouvoir appliquer le dépistage à partir d’une simple prise de sang à toutes leurs patientes à risque élevé de trisomie 21. Ils souhaitent maintenant «que la législation et la prise en charge par la solidarité nationale interviennent rapidement pour que le DPNI soit intégré dans les procédures du diagnostic prénatal proposé aux femmes enceintes».
Rien ne laisse penser aujourd’hui que ces questions majeures feront un jour, en France, l’objet d’un examen par le Parlement. A la différence, semble-t-il, de celles relatives à la procréation par les couples homosexuels. On pourra, ou pas, le regretter.
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