Une manifestation, des rangées d'uniformes, des expulsions, des gaz lacrymogènes, des destructions. Les images de policiers délogeant brutalement des manifestants pacifiques constitue toujours un symbole. Lorsque la gauche est au pouvoir, le fantôme de Jules Moch, ministre socialiste faisant tirer sur des ouvriers, en 1947, s'invite dans les esprits chagrins. Le chantier du futur aéroport international qui doit sortir de terre près de Nantes en 2017 ne commence pas sous les meilleurs auspices.
Dans le bocage de Notre-Dame des Landes, à 30 km au nord-ouest de la métropole nantaise, deux logiques implacables s'affrontent. D'un côté, on trouve les autorités politiques, nationales comme régionales, appuyées par de grandes entreprises et disposant du monopole de la force légale. Ils défendent l'idée qu'une nouvelle infrastructure de transport génère naturellement un développement économique et participe à la création d'emploi, immédiate ou future. L'actuel aéroport de Nantes-Atlantique, situé à Bouguenais, dans la proche banlieue de Nantes, ne permettrait plus d'accueillir l'augmentation attendue du trafic. La construction d'une nouvelle plate-forme donnerait à Nantes une vocation internationale. Enfin, le bruit des avions survolant l'agglomération constitue une nuisance qu'il conviendrait de déplacer.
Sort peu enviable. En face, des militants écologistes et des agriculteurs refusent que l'on transforme des terres agricoles en tarmac. Ils contestent la construction d'un nouvel aéroport alors que la structure existante fonctionne parfaitement et a encore accueilli récemment une nouvelle compagnie aérienne. Les opposants diversifient les arguments. Notre-Dame des Landes, rebaptisé "Ayraultport" car porté à bout de bras par l'ancien maire de Nantes, aujourd'hui Premier ministre, serait incompatible avec la réduction des gaz à effet de serre. Dans un contexte de ralentissement économique, les clients seront-ils vraiment au rendez-vous ou le nouvel aéroport subira-t-il le sort peu enviable de l'aéroport de Mirabel, à 60 km au nord-ouest de Montréal (Canada), ou celui de l'aéroport fantôme de Ciudad Real, en Espagne ? Au-delà des milieux naturels détruits, des terres agricoles supprimées et de leurs propriétaires expropriés, les militants dénoncent aussi les conséquences d'une opération visant à urbaniser 1220 hectares, ou davantage si la plateforme suscite, comme c'est souvent le cas à proximité d'une infrastructure nouvelle, la construction d'hypermarchés, de parkings et de zones industrielles.
En France, le débat sur l'étalement urbain est pris dans un paradoxe. La tendance à transformer la campagne en ville est fermement condamnée par une série de rapports émis par les autorités politiques, économiques, associatives. D'ailleurs, même Nantes Métropole, la Communauté urbaine présidée par Jean-Marc Ayrault jusqu'au 6 juillet dernier, s'engage elle aussi pour une "utilisation durable des terres". Et pourtant, malgré ces dénonciations unanimes, l'étalement urbain se poursuit à grande vitesse. Chaque ville souhaite, au nom du développement économique, sa zone industrielle supplémentaire, son centre commercial, son lotissement, sa gare TGV en rase campagne ou son aéroport... On connaît bien cette logique à Pézenas (Hérault), où un promoteur prévoit de construire un centre commercial en promettant la création de 1200 emplois sans se soucier des répercussions économiques, sociales et environnementales sur le reste de la cité (à lire ici).
Plus d'argent. La bataille de Notre-Dame des Landes arrive à un moment où, contraints par la dette publique, les États européens renoncent à certaines dépenses. Les grandes infrastructures de transport sont particulièrement touchées. Le projet de rocade contournant Strasbourg est abandonné, la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin connaît un coup d'arrêt, le métro express qui doit contourner Paris est menacé, le Canal Seine Nord Europe doit encore être financé. Au-delà du classique débat sur l'implantation de ces grands travaux - qui provoque nécessairement des nuisances pour les habitants - une question émerge : doit-on encore privilégier les gares TGV, les autoroutes et les aéroports, qui seront principalement utilisés par les catégories aisées et disposant déjà de nombreux moyens de transport, ou faut-il favoriser les transports de proximité ? On pourrait faire les deux, objectera-t-on, sauf que le budget ne le permet plus. Les gens qui se déplacent beaucoup, en particulier pour des raisons professionnelles, sont hyper-connectés et savent utiliser le temps passé dans les transports, même en cas de retard, comme constaté ici. Ne serait-il pas plus logique de privilégier les déplacements locaux et d'optimiser les lignes existantes ? Développer le commerce de proximité, accessible à pied, plutôt que les hypermarchés ? Il faudrait alors privilégier la simplicité et l'efficacité sur l'envie d'inaugurer. Rénover une gare de banlieue plutôt que de construire une gare TGV. En somme, choisir des projets plus sobres et moins spectaculaires. La bataille de Notre-Dame des Landes symbolise ce choix de société.
Source Le Monde