Christian Allard, un Bourguignon installé depuis trente ans à Edimbourg, s’est fait élire député indépendantiste. Le nouveau député nationaliste domine le château de la Reine, à Edimbourg. Et porte son premier kilt, celui du clan Ross.
En écossais, Slanj signifie « Santé ! » C’est aussi le nom d’un fabricant et loueur de kilts d’Edimbourg. Il a créé celui que Christian Allard essaie aujourd’hui : le kilt du clan Ross. La chemise blanche moulante, la jupe plissée anthracite en pure laine. Une épingle en forme de glaive, fixée sur le premier volant, au-dessus du genou droit, maintient le rabat en place. Les chaussettes montantes sont assorties. Le Français passe le gilet, qu’il boutonne, et la veste courte, épaisse, laissée entrouverte, tradition celtique oblige. Il accroche son « sporran », une sacoche en poil de lapin blanc. Enfin, il attache autour de ses chevilles les très longs lacets de ses « ghillie brogues », des chaussures aux semelles cloutées. « Avant d’être élu, je ne dépensais pas beaucoup pour m’habiller, dit-il. Désormais, je dois prendre soin de ma tenue… » Pari réussi, Christian est très élégant. Il ajoute : « Pour les 75 ans du Parti national écossais [SNP], nous avons fabriqué un tartan, il arrive la semaine prochaine. » Il nous montre le tissu : gris foncé avec des carreaux séparés par de fins liserés jaune vif, la couleur du parti. Il en est fier.
Ensuite, nous accompagnons Christian à son nouveau bureau du Parlement, un bâtiment lumineux, curviligne, moderne, en bois et en béton, construit en 2004. Il tranche avec les édifices médiévaux, les rues pavées bordées de vieilles échoppes colorées et les landes fleuries et sauvages aux portes de la ville. Le Français s’y rend à pied et ne passe pas inaperçu… Des touristes le prennent en photo. Il est ravi. Christian est désormais un homme politique. Il découvre ses fonctions et s’étonne de son parcours, rit de son destin. Un éclat de rire franc. Contagieux, comme sa bonne humeur inaltérable ! « Je ne serais pas là si je n’étais pas positif ! » lance-t-il. Il poursuit, plus solennel : « Mon élection, c’est une fierté, un privilège et une grande responsabilité. » Visage ovale, teint mat, petits yeux marron pétillants, lèvres fines et sourire doux… C’est un homme charmant, de taille moyenne, à la silhouette arrondie et aux cheveux courts, bruns. Quelques mèches blanches aussi. Il a des faux airs de Robert Mitchum.
En France, à Messigny-et-Vantoux, bourg de 2 000 âmes à moins de 10 kilomètres de Dijon, Henri Revol, sénateur-maire, n’est pas peu fier : Christian est né ici, il y a presque cinquante ans, dans la ferme de ses parents agriculteurs et conseillers municipaux. Henri Revol est l’un des premiers à avoir félicité son compatriote expatrié. Sa lettre est épinglée au mur dans le bureau du parlementaire. Derrière une paroi vitrée travaille son assistant, Stuart, étudiant en sciences politiques. « J’ai reçu beaucoup de courriers, répète Christian, ému. Je ne les accroche pas tous mais j’y réponds ! » Le Français n’a pas oublié ses racines, ni son passé. Son enfance douce et son adolescence travailleuse en Bourgogne ; les prairies verdoyantes et les vallons frondescents, décors sauvages, évoquaient déjà les Highlands écossais. « Enfant, impossible de réciter une poésie sans bégayer ou rougir comme une écrevisse, raconte-t-il. J’étais la risée de ma classe… J’ai quitté l’école au secondaire pour travailler à la ferme familiale. Puis, entre 14 et 16 ans, j’ai déchargé du poisson au cul des camions. C’était le boom des transports réfrigérés, j’ai découvert l’univers des marées, de l’exportation des produits de la mer, et je ne l’ai plus quitté. » Christian est alors salarié chez Stef, société de transport frigorifique. Il grimpe les échelons, intègre l’équipe dirigeante.
IL ADORE LA PANSE DE BREBIS FARCIE MAIS, POUR NOËL, IL CUISINE DU BŒUF BOURGUIGNON
« Après le service militaire, je rêvais d’aventure et d’exotisme, j’avais besoin d’aller voir ailleurs ! » On lui refuse une mutation ensoleillée en Afrique. Son directeur lui propose d’ouvrir un bureau à Glasgow… « Impossible de savoir où c’était en Grande-Bretagne et, surtout, je ne parlais pas anglais. Mais j’y suis allé. »
A 20 ans, Christian s’installe seul dans un minuscule cabanon austère, dans le pays des lochs aux cinquante nuances de gris et de verts. Glasgow, ancienne ville ouvrière, est industrielle, brumeuse, humide, baignée par un climat océanique capricieux. « C’est vrai, convient Christian, mais les Ecossais sont chaleureux et attachants, ça compense ! » Grâce au football, le francophone devient bilingue : « J’ai compris que, pour apprendre la langue d’un pays, il fallait comprendre les sujets de conversation de ses habitants. J’ai écumé les pubs, appris les règles du football, le nom des joueurs stars du Celtic Football Club et du Rangers Football Club. J’ai regardé tous leurs matchs ! » Il devient incollable et supporteur discret de la Tartan Army , « fan-club » de l’équipe nationale. Lui qui pensait rester deux ans ne reviendra plus dans l’Hexagone. Métamorphose écossaise.
Il renonce au pain et au café pour les toasts grillés et le thé. Il découvre aussi le whisky, les lancers de tronc, de marteau, de pierre, le tir à la corde, la cornemuse, les kilts… Et une Ecossaise : Jacqueline, « Jacky », une Glaswegienne pure souche. Entre eux, c’est le coup de foudre ! « On s’est mariés, Catherine est née presque la même année, raconte Christian avec beaucoup de tendresse. Puis Sara et Stéphanie. Jacky et moi, c’était la nouvelle alliance France-Ecosse ! » Il lui fait découvrir le bœuf bourguignon, qu’il cuisine à chaque Noël, « avec un châteauneuf-du-pape », et elle le haggis, de la panse de brebis farcie. A la naissance de la benjamine, il y a vingt ans, la famille part s’installer à Westhill, en banlieue d’Aberdeen, dans le nord-est de l’île, capitale européenne et très riche du pétrole offshore. Les températures y sont encore plus fraîches, les rues ventées et le brouillard épais. Christian s’y plaît, son entreprise est lucrative, et les Allard sont heureux. Mais, en 2000, Jacky décède.
« Je me suis retrouvé seul à devoir élever mes filles, partagé entre mon travail et mes enfants. Pas facile tous les jours… » Les filles grandissent. Deux petits-enfants naissent. Christian, plus libre, goûte à la politique locale, puis régionale et nationale. Il défend les associations de marins pêcheurs, milite contre le nucléaire en Grande-Bretagne et, il y a dix ans, s’engage dans le Parti nationaliste : « Je voulais que l’Ecosse change. J’appartiens au peuple d’Ecosse, je suis un “new Scottish”, un Français d’Ecosse. » Son combat : l’indépendance du pays, « la campagne du “oui” ». « Ce n’est pas une finalité en soi mais un moyen de se libérer de l’influence de la Grande-Bretagne, explique-t-il. Et ce n’est pas un choix de drapeau ou d’hymne national, ni un enjeu politique ; c’est une opportunité pour que le peuple écossais puisse enfin décider de son avenir et changer la société. Nous voulons une Ecosse plus humaine, plus saine, plus sociale, plus proche du modèle scandinave que du modèle libéral anglo-saxon. L’histoire commence maintenant. Le reste de la Grande-Bretagne perdra un locataire mécontent mais aura un voisin heureux. »
Dans la salle des pas perdus, des parlementaires viennent le saluer avec sympathie et le félicitent pour son engagement. Tous l’apprécient. Certains s’étonnent encore de son patriotisme écossais. Christian répond, piquant et vif : « Vous devriez vous demander pourquoi ce n’est pas vous qui êtes à ma place ! » Sans grande surprise, il roule les « r » lorsqu’il s’exprime dans un anglais parfait, relevé d’un accent écossais à la fois rocailleux et musical. Quelques notes bourguignonnes s’obstinent. « So charming ! » jurent les locaux. Nous retrouvons Christian le soir, à Leith, le port d’Edimbourg, attablé au Shore, un pub réputé pour ses bières brassées sur le territoire celtique et pour ses plats typiques. Il commande un poisson. Forcément. Et une pression. Il est 20 heures, des musiciens interprètent « Sweet Dreams (Are Made of This) », d’Annie Lenox. Christian le cinéphile regrette de ne plus regarder autant de films qu’avant. Son agenda est trop chargé. « A la retraite, dit-il, je prendrai le temps. J’ai promis aussi d’apprendre le gaélique, les danses écossaises et le golf. Encore un effort pour devenir un parfait Ecossais ! »
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