Le 1er mars 1981, j'ai appris que Bobby Sands commençait une grève de la faim pour le statut de prisonnier politique. J'étais à Paris. Je l'ai lu dans un journal froissé, oublié sur une table de café. C'était un article tout faux. Faux dans les faits, les dates, les lieux, les termes. L'IRA était désignée comme Armée "révolutionnaire" irlandaise. Le camp de Long Kesh, décrit comme une "prison pour catholiques extrémistes". La grève de la faim, analysée comme un "chantage au suicide commandité par les va-t-en guerre républicains". Je n'avais jamais vu Bobby Sands. Lorsque je suis arrivé en Irlande, il était déjà prisonnier. L'hiver dernier, une première grève de la faim avait échoué. Margaret Thatcher avait promis un geste d'humanité si le jeûne s'arrêtait. Dès qu'il a cessé, le Premier ministre britannique a renié sa parole, et pincé ses lèvres en disant qu'elle ne céderait jamais.
J'étais là, face à la rue, assis à une table. J'avais chiffonné le journal avec moi. Je regardais mon coin de Paris, des immeubles gris ciel. Un gars riait en marchant, son amie faisait des gestes au milieu du trottoir. le bruit de la machine à café. Le cliquetis des verres. La soucoupe verte et ma monnaie française. Je me sentais loin, perdu et seul. Je savais qu'une deuxième grève de la faim allait débuter au printemps. Jim, Tyrone, tous m'avaient expliqué. Par ce jeûne à mort, les prisonniers républicains mettaient fin à cinq ans de "protestation des couvertures", et à une "grève de l'hygiène" pour rien.
Bobby Sands était l'officier de l'IRA commandant Long Kesh, condamné à cinq ans pour possession d'une arme. Il avait décidé de conduire le mouvement. Une semaine après, un autre le rejoindrait. Puis un troisième. Et puis un quatrième. Et un cinquième remplacerait le premier décédé. Et un sixième prendrait la place du deuxième martyr. La liste des volontaires établie à l'intérieur de la prison s'étalait en dizaines, puis en centaines de noms. Le visage souriant de Bobby Sands a rejoint la lettre "H" sur chaque brique de la ville.
Sorj Chalandon, Mon traître