De moins en moins nombreux et de plus en plus vieillissants, tel est le visage actuel des agriculteurs français. En quarante ans, quatre millions d'emplois ont été perdus par une catégorie socioprofessionnelle qui constituait au début du XXe siècle la moitié de la population active nationale. Le nombre d'exploitations est passé de 2 millions en 1960 à 663 807 en 2003. Parmi ces exploitations, on ne dénombrait en 2003, que 367 200 exploitations agricoles dites "professionnelles". Pour la seule année 2004, le nombre d'agriculteurs a régressé de -2,6%. Désormais, lorsque quatre agriculteurs partent à la retraite, seul un jeune agriculteur s'installe.
Parallèlement, parmi les chefs d'exploitations et co-exploitants, les plus de 55 ans représentaient 31% de cette population et la part des moins de 30 ans ne s'élevait qu'à 5%.
Parallèlement, parmi les chefs d'exploitations et co-exploitants, les plus de 55 ans représentaient 31% de cette population et la part des moins de 30 ans ne s'élevait qu'à 5%.
L'individualisation du travail agricole
En 2003, 21% des exploitants agricoles sont célibataires contre 16% en 1988. 43% des jeunes agriculteurs de moins de 35 ans sont célibataires. Parmi les chefs d'exploitations installés entre 2000 et 2003, 54% des hommes et 34% des femmes sont célibataires. Le modèle de l'installation en couple fait donc place progressivement à celui de l'installation individuelle avec toutes les conséquences que cela comporte en termes de dynamique du système-exploitation famille mais aussi d'insertion socio-professionnelle.
Les nouveaux contours du célibat agricole traduisent une précarisation du métier d'agriculteur et témoignent des fractures sociales à l’œuvre au sein de cette profession. Contrairement à un célibat urbain qui n'est pas forcément synonyme d'isolement ou de sentiment de solitude, le célibat agricole s'accompagne très souvent d'un grand mal être. Repliés généralement dans des activités de production traditionnelles, les agriculteurs célibataires vivent difficilement les crises conjoncturelles qui sont survenues ces dernières années. L'engagement au sein des organisations professionnelles ne suffit pas à pallier l'éclatement définitif des structures villageoises qui, jadis, maintenaient les célibataires dans des réseaux de sociabilité où les craintes et les doutes pouvaient s'exprimer. Aujourd'hui, le mal-être des agriculteurs est invisible et demeure caché. Les femmes et les jeunes se montrent particulièrement sensibles au sentiment de solitude.
Cette dimension du malaise paysan va de pair avec une recrudescence des cas de suicide chez les agriculteurs. Une situation dramatique qui est notamment observable dans de nombreux départements agricoles où des crises à répétition ont affecté la filière bovine. C'est le cas dans la Nièvre, le Rhône, la Mayenne ou la Charente-Maritime. Dans le département de la Manche, où le revenu agricole se place au 74ème rang français et où de nombreux agriculteurs vivent avec moins de 5 000 euros par an, la Mutualité sociale agricole (MSA) a enregistré une nette augmentation du taux de suicide chez les agriculteurs : rien que dans les douze cantons ruraux du sud de ce département, le nombre de suicides est deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, soit 4 à 6 cas pour mille habitants.
François Purseigle, Regards sur l'actualité, n°315