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Les troublantes conversions des musulmans d’Adjarie

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En 1991, 75 % des Adjares, en Géorgie, étaient musulmans. Aujourd’hui, ils sont devenus à 75 % orthodoxes. Comment expliquer ces conversions, apparemment uniques au monde ?

À quelle heure débute l’office à l’église Saint-Nicolas de Batoumi le dimanche matin ? La question embarrasse l’employée de l’hôtel President Plaza, l’un des plus grands établissements de la ville, à un coup d’accélérateur du siège de la République autonome d’Adjarie et du consulat d’Iran. Il est vrai que dans cette province de Géorgie, baignée par la mer Noire, la population ne maîtrise guère l’anglais. Tous les documents, comme les plaques dans les rues, sont en géorgien ou en russe. L’employée finit par suggérer de rejoindre l’Eglise Saint-Nicolas vers 9 heures. En fait, l’office fonctionne étrangement comme un self-service. Les fidèles, hommes, femmes (la tête systématiquement couverte) et enfants entrent et sortent à leur guise, après avoir longuement embrassés les icônes et s’être signés à de multiples reprises.

Ce curieux va et vient dure presque toute la matinée. Le prêtre ne pourra guère nous renseigner, il ne parle que russe et géorgien. Une étudiante, tout sourire, diplômée dans la langue de Shakespeare, arrive à notre secours. Nous lui posons la question : « Comment se fait-il que la majorité des habitants de la République autonome d’Adjarie, au sein de la Géorgie, aient, en deux décennie, abandonné l’islam pour l’orthodoxie ? ». La jeune fille s’excuse, elle n’est pas au courant, et préfère s’esquiver rapidement… 

Une province ottomane, puis russe 
Pourtant les faits sont là, l’Adjarie, conquise par les Ottomans au XVIIe siècle, devient très majoritairement musulmane. En 1878, cette province de 3 000 km2 tombe dans le giron de l’Empire russe. En 1991, après la chute du communisme et l’indépendance de la Géorgie, l’Adjarie fait sécession. Jusqu’en 2004, cette République “indépendante“ est gouvernée par un dictateur de confession musulmane, Aslan Abachidzé, aujourd’hui en fuite. Depuis, l’Adjarie (400 000 habitants) est revenue dans le giron de la Géorgie.

Selon les documents officiels, en 1991, 75 % des Adjariens étaient musulmans. Ils sont aujourd’hui à 75 % orthodoxes. Comment expliquer ces conversions massives ? Dans une longue interview parue en décembre 2012, Dimitri, le métropolite de Batoumi (la capitale de l’Adjarie), par ailleurs neveu d’Elie II, le patriarche de Géorgie, raconte qu’il a été nommé prêtre de la paroisse de Saint-Nicolas de Batoumi en 1986. À cette époque, il n’y avait qu’une seule église orthodoxe à Batoumi. 

« C’est la volonté divine » 
Dimitri assure que « cette métamorphose de toute une région, cette conversion de l’islam à l’orthodoxie, ou plutôt ce retour aux sources, à la foi des ancêtres », s’est déroulé sous ses yeux. Ainsi, le 13 mai 1991, « 5 000 musulmans et athées devinrent orthodoxes. La même année fut ouverte l’école ecclésiastique à Khulo et le lycée ecclésiastique Saint-André, la première école secondaire religieuse en URSS ». Le métropolite de Batoumi affirme que les Adjariens, convertis de force à l’islam par les Ottomans, étaient, en fait, restés chrétiens de coeur. Selon ses déclarations, ils continuaient à porter secrètement une croix, ils peignaient des œufs de Pâques, ils conservaient des icônes dans leurs habitations.

Dimitri ajoute que beaucoup de prêtres viennent de familles musulmanes. Le recteur du séminaire serait le petit-fils d’un mollah, formé à Istanbul. Comment expliquer des conversions interroge le site Provoslavie i mir (L’orthodoxie et le monde) : « C’est la volonté divine. C’est un miracle de Dieu, inexplicable du seul fait de la prédiction », répond Dimitri. 

Missionnaires venus de Turquie 
La grande mosquée de Batoumi est à quelques rues de l’Eglise Saint-Nicolas, à proximité du port. Première constatation : elle est effectivement beaucoup moins fréquentée que le lieu de culte orthodoxe. Malgré tout, certaines publications locales dénoncent un « retour à l’islam soutenu par la Turquie ». Mais durant notre séjour en Adjarie, nous n’avons pas constaté cette « présence islamique turque assez conséquente », due à « l’arrivée massive de missionnaires », notamment des prédicateurs disciples du Turc Süleyman Hilmi Tunahan. 

Le poste frontière de Sarpi, avec la Turquie, n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Batoumi. Si la capitale de l’Adjarie est devenue très majoritairement chrétienne, en revanche, les petits villages dans les montagnes adjares n’ont pas encore renié le Prophète. La bourgade de Khulo, à plus de deux heures de route de la mer Noire, compte une mosquée et une madrasa. Certaines personnes âgées continueraient de parler turc nous a-t-on dit, sans que nous puissions le vérifier.

Un Etat national et orthodoxe 
Pour le visiteur venu de l’extérieur, les deux religions paraissent cohabiter sans heurts. Les Adjares vous indiquent sans réticence les chemins de l’église ou de la mosquée la plus proche. Personne n’évoque d’éventuelles persécutions vis-à-vis des religions minoritaires. Toutefois, ces conversions massives restent un sujet tabou. D’autant que les autres musulmans de Géorgie (autour de 10 % de la population) ne paraissent pas adopter aussi rapidement l’orthodoxie. Notamment les Kistines, une ethnie tchétchène, près de la frontière avec la Tchétchénie et le Daghestan, et les chiites de Géorgie orientale, voisine de l’Azerbaïdjan. 

« Il faut comprendre que l’Eglise orthodoxe est un pilier fondamental de notre identité nationale. Dans le passé, nous avons été envahis par tous nos grands voisins, les Perses, les Ottomans, les Russes. S’il n’y avait pas eu le ciment de la religion, il n’y aurait même plus de peuple géorgien », souligne Alina Okkropiridze, ancienne journaliste et traductrice. Après soixante-dix ans d’athéisme d’Etat, au temps de l’URSS, Zviad Gamsakhourdia, le premier président géorgien, a voulu créer un Etat « national et orthodoxe ». Son successeur, Edouard Chevarnadze, ancien ministre des Affaires étrangères de l’URSS, a eu soin « d’annoncer sa conversion à l’orthodoxie, de se faire baptiser et de choisir pour directeur de conscience le patriarche Elie II, à la tête de l’Eglise géorgienne depuis 1977 », rappelle le site suisse Religioscope. 

Démontage d’un minaret 
En clair, depuis deux décennies, le pouvoir, les médias, les partis nationalistes ne cessent de répéter qu’un vrai Géorgien doit être avant tout orthodoxe. Cela suffit-il pour expliquer, comme l’affirme le métropolite Dimitri, « le retour à la foi des ancêtres » des Adjares ? Fin août, dans le district d’Adiguéni, au sud-ouest de la Géorgie, les autorités ont démonté un minaret sous prétexte que les droits de douane n’avaient pas été acquittés pour les matériaux de construction. Des musulmans qui s’opposaient à la destruction de l’édifice ont été arrêtés. « Une façon peu “orthodoxe“ d’agir qui n’a pour finalité que l’exil du peuple musulman », dénonce un site local dans un article intitulé « Géorgie : le minaret de la discorde ».

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