Vous allez dire que je suis fou d'attaquer comme ça des Sartre et Camus, qui ne m'ont rien fait, en somme. Il faut avouer que j'ai été frappé d'horreur par cette liste noire, publiée à la Libération. C'est si peu français qu'on se demande tous les jours si on n'a pas rêvé.
Il y avait trois souches principales dans ces inquisiteurs. D'abord les Cassou, Benda et leur bande, les Aragon Triolet, etc. qui ne pouvaient pas ne pas être là. Ils vous auraient même déçus de n'y pas être. C'est tellement naturel de leur part qu'on ne peut pas leur reprocher.
Puis les jésuites et académiciens Mauriac, avec ce pauvre Duhamel, préalablement terrorisé, joueur de clarinette qui même s'il fait le mouton enragé ne s'est jamais pris pour un lion, et pas né du tout pour passer le nez au milieu des fusillades.
Et alors la troisième souche, les petits malins NRF qui ont toujours eu la liberté à la bouche, dont on pouvait espérer un sursaut non pas de conscience, mais de lucidité. Ces prof' de philo arrivistes ont montré qu'ils ne craignaient personne dans l'art de baisser leur froc. On s'expliquera qu'ils m'aient déçu, d'autant plus qu'ils ont entraîné dans leur infamie les pauvres petits grimauds de la maison, qui ne méritaient pas ça.
... J'ai écrit quelque chose de ce genre à Céline, il me répond avec sa simplicité coutumière, et son coup d'oeil sur les milieux littéraires surprenant pour un exilé:
"Oh vieux, tu sais, les listes noires, qu'est-ce que ça peut foutre ? Les intellectuels ils sont "croupions" avant tout. Duhamel, Sartre, Camus, Mauriac, Aragon égalent croupions, USA ? ou URSS ? faut qu'ils se fassent mettre. Qui c'est qui met ? Toutes leurs cogitations finissent là, tendent à cela comme la jeune fille perpétuellement à marier, quel est le parti le plus avantageux ? Par qui me fera-je mettre maman ? Je méprise trop toute cette valetaille d'enculés, éculés, vieillards misés et remisés cent fois pour même tenir compte de leurs pires insultes, hargne, anathème, etc. Ce sont des filles..."