1950 : les Unités viêt-minh
Les unités spéciales formées par l'armée populaire constituent le groupe numériquement le plus important, même s'il n'existe pas de statistiques officielles.
La tactique d'assaut Vietminh reposait sur le procédé classique de la colonne dense, de plusieurs centaines d'hommes sur deux ou trois rangs de front. Cela suppose de concentrer l'attaque sur un point du dispositif de défense adverse dont la largeur est relativement réduite, soit une vingtaine de mètres au plus. Grâce à un travail acharné de sape, les unités parvenaient à quelques dizaines de mètres des positions adverses. Il restait toutefois à franchir le périmètre défensif hérissé de barbelés, parsemé de mines. La préparation d'artillerie avait entre autres pour fonction de démanteler ce réseau de défenses passives. Mais d'importants fragments demeuraient encore susceptibles de ralentir la progression de la colonne prise sous le feu adverse. Il fallait donc achever de dégager la largeur du couloir pour mener la charge humaine des fantassins. Telle était la mission des volontaires de la mort (VM). Pour y parvenir, ils disposaient d'un matériel éprouvé qui avait fait ses preuves depuis plusieurs années.
Le bengalore est un instrument bien connu des sapeurs depuis la Première Guerre mondiale. Il se compose d'une série de tubes d'acier s'emboîtant les uns dans les autres en sorte que l'on peut faire progresser le tuyau au sein des défenses adverses tout en restant à couvert. Une roquette est alors introduite et mise à feu. Elle va exploser au milieu des barbelés et autres chevaux de frisse qui protègent les fortifications ennemies. Le Vietminh ne disposant pas de ce matériel en avait adapté le principe. Il avait imaginé de placer de placer les charges à l'extrémité de très longs bambous que portaient jusqu'au point utile des hommes qui s'exposaient directement au feu de la défense et entraient dans le périmètre où des mines avaient généralement été posées. En outre, la détonation de la charge portée à bras d'homme exposait celui-ci à recevoir tous les éclats de ferraille propagés par l'explosion dans un périmètre excédant la longueur du bambou. La mort était donc certaine et le déclenchement de l'arme était bien provoquée par son porteur. Toutes les conditions sont réunies pour pouvoir parler d'une mort volontaire au service d'une cause. Sans doute le soldat ne tuait pas l'ennemi directement. Il contribuait à son anéantissement en favorisant l'action de ses camarades qui suivaient immédiatement. Difficile dans ce cas d'introduire une véritable nuance au niveau de l'intention.
Les effectifs de ces unités suicides semblent avoir été importants. Leur estimation basse est de l'ordre de 20 000 hommes. Le renouvellement des effectifs devait être important, eu égard à la consommation élevée dans les assauts. Mais la République démocratique du Vietnam n'a jamais fourni de statistiques. On ne sait rien non plus sur le taux de pertes dans un assaut.
On peut se demander dans quelle mesure cette tactique procédait d'une authentique "faiblesse" devant les capacités militaires françaises. A Dien Bien Phu, Giap dispose de la supériorité sur le théâtre. A-t-il donc besoin de lancer à l'assaut des fortifications françaises des unités suicides alors que le patient et continu pilonnage de son artillerie lourde finirait par hacher les défenses françaises ? Non. Ces unités lancent dans la mort parce que telle est devenue la tactique de combat. Les VM ont perdu tout statut d'exception, c'est, dans la bataille qui s'engage, une arme, au même titre que n'importe quel obus. Plus tard, le culte du héros se chargera dans le cadre de la société politiquement organisée de donner sa place efficace à chaque VM.
Histoire du terrorisme, Gérard Chaliand et Arnaud Blin