Pourquoi un saut fédéral ?
Un énième couac de communication
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La crise de la zone euro a montré qu’il y avait comme une incompatibilité entre une monnaie unique et des politiques économiques et budgétaires souveraines.Ce n’est vraiment pas une surprise : dès 1991, lors de la négociation du traité de Maastricht, les États le savaient parfaitement. Mais comme il était trop tôt pour proposer un vrai saut fédéral, ils ont renvoyé à leurs successeurs le soin de parachever l’Union économique et monétaire en pariant sur le fait que l’entrée en vigueur de l’euro constituerait un choc suffisant pour les pousser à consentir les partages de souveraineté nécessaires. C’est exactement le contraire qui a eu lieu : protégés par le parapluie de l’euro qui semblait en béton armé, le chacun pour soit est devenu la règle… jusqu’à la crise de la dette publique qui a éclaté en 2010.
La Commission et l’Eurogroupe (où siègent les ministres des Finances de la zone euro) pourraient, en contrepartie, exiger la modification des budgets nationaux qui s’écartent des obligations de discipline budgétaire voire poser un veto, le tout sous le contrôle de la Cour de justice européenne. C’est une vieille idée française : en 1990, dans un projet de traité préparé par Bercy, cette possibilité avait été prévue. Mais les Allemands ont estimé que cela poserait un problème démocratique. On n’en est plus là, surtout depuis qu’il a été décidé de soutenir financièrement les États en difficulté. Une telle interdépendance impliquera de coordonner les politiques économiques y compris dans leurs aspects fiscaux et sociaux, jusqu’ici exclus du champ communautaire. Ainsi, toutes les réformes économiques « de grande ampleur » seraient adoptées en commun. La Commission souligne, et c’est un sacré virage idéologique, qu’il faudra veiller à ce que la discipline budgétaire ne décourage pas les investissements et notamment les « investissements publics ». Pour ce faire, en cas de dégradation de la conjoncture, des écarts en matière de déficit seront tolérés.
Toujours pour renforcer la convergence et solder le passé, la Commission veut mettre en place un « fonds d’amortissement de la dette », tel que proposé par le conseil des sages économiques allemands. L’idée est de mutualiser les dettes nationales dépassant les 60 % du PIB afin de garantir le financement de « la dette excessive à un coût soutenable » et, ainsi, de permettre aux États, tout en réduisant leur niveau d’endettement, d’investir et de relancer leur croissance à long terme. Pour éviter les problèmes de trésorerie que rencontrent les États en difficulté financière, la zone euro pourrait aussi mutualiser son marché de la dette à court terme (un à deux ans) afin d’éviter d’alimenter la spirale de l’endettement. Il ne s’agirait pas d’augmenter le niveau d’endettement, mais de permettre aux États de se financer à des taux bas. Comme pour le fonds d’amortissement, ces « eurobills » seraient soumis à une stricte conditionnalité, c’est-à-dire que les États en bénéficiant devront souscrire un programme d’ajustement structurel. Cet ensemble serait complété par une union bancaire totale (y compris une garantie commune des dépôts bancaires) et une représentation unique de la zone euro dans les institutions internationales.
Avant d’en arriver à une intégration aussi forte, qui impliquera une profonde réforme des traités européens, la Commission propose une série d’étapes intermédiaires « à traité constant ». Ainsi, une « capacité budgétaire » de la zone euro pourrait être mise en place progressivement et serait utilisée, dans un premier temps, pour aider les États qui procéderaient à des réformes structurelles importantes pour se remettre à flot. Ceux-ci, pour bénéficier de l’aide européenne, signeraient de véritables « contrats ». De même, les aides régionales (fonds structurels) ne pourraient plus être utilisées que pour financer des projets favorisant la croissance.
Un énième couac de communication
Encore une fois, la Commission a brillé par son incapacité à communiquer. Certes, cet important projet a été annoncé vendredi dernier, mais en plein sommet européen sur les perspectives financières 2014-2020. Les journalistes n’ayant pas le don d’ubiquité, cette annonce est largement passée inaperçue. D’autant que la Commission n’a pas cherché à prévendre son document afin que les médias puissent juger de son importance et préparer des articles en conséquence. J’ai moi-même parlé à plusieurs reprises avec des porte-parole de la Commission lors du sommet européen et ils ne m’en ont pas dit un mot (style : « hey, Jean, fais gaffe, la semaine prochaine on sort un méga truc révolutionnaire »). Pis : la conférence de presse de Barroso n’a eu lieu que mercredi à 16 heures, à une heure où les journaux ne pouvaient plus modifier leurs pages, sauf événement majeur, ce que ne sera jamais un document de la Commission... En outre, sauf à être un génie, impossible de lire en quelques minutes 55 pages particulièrement complexes, les analyser et écrire un papier à peu près intelligible. Résultat : la presse a observé un pieux silence sur ce document. Au mieux, quelques cours papiers le lendemain et des dépêches purement factuelles. Autrement dit, ce document est tombé dans un trou noir médiatique alors qu’il méritait infiniment mieux. À ce niveau d’incompétence, cela devient de l’art. Seul élément positif : cette communication a été immédiatement disponible en allemand et en français en plus de l’incontournable anglais. Il est vrai que ce ne sont pas les anglophones qui sont à convaincre…
Ce document est-il acceptable par tous les États ? « On sent dans ce texte la patte de l’Allemagne », estime un diplomate européen : celle-ci n’a, en effet, jamais caché qu’elle souhaitait, pour prix de sa solidarité financière, mettre en place une contrainte maximale sur les politiques budgétaires nationales.De même, si elle refuse toute mutualisation des dettes nationales, elle est beaucoup moins réticente à la création d’une « dette fédérale ». De même, le document de la Commission est compatible avec « l’intégration solidaire » que prône François Hollande : pour le chef de l’État, toute modification des traités doit être justifiée par un accroissement de la solidarité. L’exécutif européen ne dit pas autre chose : « la voie à suivre doit être soigneusement équilibrée. Il convient de combiner les mesures de renforcement des responsabilités et de la discipline économique avec une plus grande solidarité et un plus grand soutien financier » et « assurer la légitimité démocratique et l’obligation de rendre des comptes ».
Afin de ne fâcher personne, la Commission n’aborde pas de front la question institutionnelle. Car la logique voudrait que la zone euro dispose de ses propres institutions ou du moins que les commissaires et les députés européens non membres de la zone euro soient privés de leur droit de vote sur toutes les questions concernant la gestion de la monnaie unique. Est-il imaginable qu’un commissaire britannique, suédois ou danois se prononce sur les budgets nationaux de la zone euro ? Est-il concevable que des députés européens non membres de la zone euro votent sur des mesures qui ne les concernent pas, comme l’émission d’euro-obligations ? Évidemment non. Dans un encadré juridique particulièrement obscur, elle évoque la possibilité de ne décider qu’à dix-sept tout en demeurant « ouvert » aux États qui ont vocation à rejoindre l’euro… Un front qu’il faudra un jour ou l’autre ouvrir, la Commission le sait : « mais il faudra un axe franco-allemand déterminé pour faire cesser le chantage permanent des Britanniques, ce qui n’est nullement acquis vu ce qui s’est passé la semaine dernière lors des négociations budgétaires », prévient cependant un haut fonctionnaire européen.
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