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Channel: ORAGES D'ACIER
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Ce n'est pas seulement le pic pétrolier. C'est le pic de tout.

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La relative bonne nouvelle, c'est que vu l'augmentation des coûts, le recyclage augmente (les États-Unis exportent chaque année en Chine pour 61 milliards de dollars de métaux à recycler), le design des produits devient plus économe en ressources, on essaye de réparer au lieu de jeter, etc. Malheureusement, même si on arrivait à recycler 100% des métaux utilisés - métaux, plastiques et autres - puisqu'on doit croître de plus en plus, il faut tout de même plus de matières pour fabriquer les nouvelles automobiles, les télévisions, les téléphones, etc., que l'économie nous demande impérativement de produire. On s'achemine rapidement et sûrement vers l'épuisement de toutes les ressources.
     Il faut ensuite voir quel est l'impact de la rareté des matières impossibles à substituer. Il y a des matières qui, une fois mélangées, sont impossibles à séparer à des niveaux d'énergie raisonnables. Le cobalt, par exemple, qui est mélangé dans l'acier pour créer de l'acier inoxydable, est définitivement perdu. Les phosphates des engrais, une fois utilisés et répandus sur un champ agricole, finissent dissous dans l'eau et coulent enfin dans la mer où il sera impossible de les récupérer. Enfin, il y a les matières perdues par dispersion - le fer rouille. Les atomes qui sont oxydés sont aussi perdus car trop dispersés pour être réutilisés. Nous consommons plus de ressources que nous sommes capables d'en renouveler ou d'en découvrir. Or, la demande ne cesse d'augmenter.
     Souvent, les économistes font l'erreur d'imaginer que l'économie n'existe que dans le vide, sans paramètres externes aussi vulgaires que les ressources ou les déchets. Hélas, l'économie réelle n'est pas un joli modèle théorique aussi propret qu'idéalisé. L'économie est un sous-élément de l'environnement naturel. La complexité d'une économie moderne globale, capable de fabriquer, transporter, suivre, utiliser et disposer de milliards et milliards d'objets, est énorme. Ce système très complexe ne peut exister, bien évidemment, que par un apport continu d'énergie. 
     Pour de nombreux économistes, l'argument que le monde est sur le point de voir la fin des ressources est à la fois vieux et complètement discrédité.En 1980, un bon nombre d'entre eux prévoyaient la rareté des matières premières et l'augmentation des prix. Or, les prix n'ont cessé de baisser au cours des années 1980 et 1990. C'est que ceux qui avaient déjà compris l'inévitable dans les années 1960 et 1970 n'avaient pas bien saisi la notion de temps. Pourtant, ils avaient raison. Ils étaient seulement trop en avance. 

     Les économistes traditionnels pensent que la croissance économique est une bonne chose. Ils argumentent contre l'idée de limite physique aux ressources en avançant que si une ressource devient rare, son prix va augmenter et qu'un prix élevé donnera la motivation de trouver d'autres ressources et/ou de développer ou inventer des substituts moins chers. Selon eux, les forces du marché - la main invisible - et l'ingéniosité humaine seront toujours capables de trouver une solution à la demande croissante de ressources. Cela grâce à l'exploration de territoires jusque-là vierges, en rendant les processus plus efficaces ou en remplaçant le pétrole par une autre énergie. Il ne peut y avoir pour eux de limite théorique à la croissance. Les faits leur ont donné raison au cours de ces 200 dernières années et, depuis 1989, la plupart ne voient aucune raison à la baisse de l'accélération de l'expansion de l'économie. Selon la doctrine libérale, plus est toujours un mieux. De ce point de vue, l'énergie a la même valeur que n'importe quelle matière première, alors qu'elles est la condition nécessaire à l'obtention des autres ressources. 
     En fait, ce n'est pas le pic du pétrole ou le pic des ressources qui auront l'impact le plus brutal. C'est surtout le moment où la demande deviendra durablement plus grande que la production. Prenons un pays qui produit 3 millions de barils par jour, en consomme un et en exporte deux. Si, après 10 ans, la production baisse à 2 millions de barils par jour et que la consommation interne augmente à 1,5, ce pays ne peut plus exporter que 0,5 millions de barils par jour, soit considérablement moins (75% de moins !) que 10 ans auparavant. Très vite, il ne pourra plus rien exporter. Dans ce scénario, les prix du baril vont subitement et fortement augmenter et les pays importateurs nets de pétrole vont donc très vite se retrouver à sec, si je puis dire, quel que soit le prix du pétrole. Car les pays producteurs vont rapidement mettre un embargo sur leurs exportations, considérant leur demande interne comme bien plus prioritaire pour eux, afin de garantir une stabilité économique et sociale et de constituer un minimum de réserve stratégique.
     Le même phénomène est vrai pour les autres ressources. On peut donc débattre du moment où le pétrole, ou tel ou tel minerai, atteindra son pic de production, mais le vrai moment clé, celui où de plus en plus de pays ne pourront plus ou ne voudront plus exporter, sera bien antérieur. C'est à ce moment-là que l'économie va fortement ralentir, que les prix des biens vont fortement augmenter, qu'il y aura des pénuries et des mouvements de panique. 
     Malheureusement, l'opinion publique occidentale ne prend plus guère au sérieux la perspective tant de fois annoncée d'un épuisement des ressources. Lorsque celui-ci arrivera, ce sera un choc économique et surtout, psychologique. Les optimistes nous disent qu'il est inutile de se préoccuper, le progrès est de nature à se corriger lui-même. Malthus avait tort, nous dit-on, il n'avait pu prévoir les engrais chimiques, l'agriculture intensive ! Allons donc, avec le progrès technique, on finira bien par trouver les moyens de développer de nouvelles ressources qui remplaceront celles qui sont en train de s'épuiser ! On se retrouvera dans la situation du drogué, qui cherche toujours sa drogue quel qu'en soit le prix car il ne peut la remplacer par rien d'autre. Le problème, c'est qu'en matière de consommation de drogue pétrolière, les drogués dont nous sommes, sont très majoritaires ! Ceux qui ont accès à leur dose de consommation quotidienne n'ont pas l'intention d'y renoncer, et ceux qui n'y ont pas accès rêvent le plus souvent d'y accéder le plus vite possible.
     Le risque de troubles sociaux et de révoltes suite à une baisse de l'économie motivera de plus en plus de politiciens à faire le pari de la guerre pour pouvoir, au moins, garantir l'approvisionnement en  ressources. Guerre qui a, de toute évidence, déjà commencé. Il est difficile de prévoir les conflits futurs, notamment lorsque tant d'opérations spéciales ou sous faux drapeau interdisent de savoir avec certitude qui fait quoi et qui combat qui. Guerre maquillée sous un fard de droit-de-l'hommisme... Il faut les bombarder pour leur apporter la démocratie, les tuer pour leur bien, occuper leurs pays pour les libérer de leurs dictatures. Ça paraît hypocrite comme ça, au début, surtout lorsqu'on remarque qu'il n'y a jamais d'interventions militaires là où il n'y a pas de ressources - pétrole en tête. Qui sait, peut-être qu'un jour le masque hypocrite pétri de novlangue tombera ? On partira alors en guerre avec le courage d'en déclarer le but : le vol.
     Ces guerres seront de plus en plus futiles, car non seulement elles consommeront des ressources, mais risqueront de détruire les moyens de production. Tout comme le drogué qui cambriole la vitrine d'une pharmacie en s'emparant de toutes les choses qui lui tombent sous la main sans faire de distinction, ces guerres ressembleront de plus en plus à des actes désespérés. Le risque d'embrasement et d'extension de tels conflits est majeur. Surtout lorsque des pays poursuivant une politique impérialiste, comme les États-Unis, vont entrer en collision avec les intérêts stratégiques des nouvelles puissances comme la Chine et la Russie. Ces conflits pourraient être non pas la Troisième Guerre mondiale, mais la Dernière Guerre mondiale !
     En fait, les guerres pour les ressources sont une forme de déni : si nos efforts ne donnent pas de résultat, si nous ne voulons pas changer de mode de vie, il nous reste toujours la guerre ! Ah, si seulement on pouvait gagner cette guerre, le pétrole recommencera à jaillir du sol et on pourra continuer à utiliser notre voiture ! Si seulement on pouvait avoir encore un peu plus de ressources, un peu plus longtemps, on pourra poursuivre encore quelque temps notre mode de vie actuel, histoire d'attendre le miracle des technologies qui nous sauvera !
     Dans le passé, il y avait toujours un niveau continent, de nouveaux territoires à explorer et dans lesquels de nouvelles ressources allaient être découverts ou pillées. Il y avait toujours un autre puits de pétrole ou de gaz qui pouvait être foré, ou une production de gisements existants qu'on pouvait augmenter. Tout cela est fini. Nous vivons au-delà de nos moyens. C'est comme si nous dépensions tous nos revenus, et qu'on plus nous dépensions tout notre capital. A la fin, c'est la faillite. Et il n'y a pas à l'échelle globale d’État providence pour nous sauver.

     La notion d'empreinte écologique ou, en anglais, ecologic footprint, sert à définir la surface de terre productive pour produire énergies, ressources, nourriture et équivalents pour un habitant. Si on mesure cette empreinte en hectares disponibles par habitant de la planète, cela donne 1,8 hectare par personne en 2003. Plus la population et la consommation par habitant augmentent, plus cette empreinte augmente. Or, si cette empreinte est déjà atteinte avec 1,8 hectare dans les pays les plus pauvres, elle est de plus de 1,9 dans les pays dits en développement comme la Chine et a une moyenne de 6,4 hectares dans les pays dits riches. Les États-Unis, pays à la fois riche et gaspilleur, sont à 9,6 hectares par habitant. Si le monde entier voulait vivre comme les habitants des États-Unis vivent maintenant, il faudrait l'équivalent de cinq fois la surface existante sur Terre, il faudrait cinq planètes.

     Je crois que ça ne va pas être possible.

Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique

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