Passer au « fédéralisme » implique que les politiques budgétaires des États membres de la fédération soient contrôlées par le gouvernement « fédéral », en l’occurrence dans la situation actuelle la Commission Européenne. Mais, le « fédéralisme » implique aussi des transferts budgétaires importants, qui existent d’ailleurs dans les États fédéraux. D'après une estimation de l'économiste Jacques Sapir, ils représenteraient au minimum 258 milliards d’euros par an pour les seuls pays du sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), hors fonds structurels et aides financières actuelles. Autant dire que les transferts massifs qu'implique le fédéralisme budgétaire sont évidemment impossible.
L’hypothèse « fédérale » fait actuellement couler beaucoup d’encre. Elle est présentée comme « la » solution à la crise de l’Euro, les autres alternatives étant l’appauvrissement dramatique des pays du « sud » de la zone Euro ou l’éclatement de la dite zone. Certains n’hésitent pas à ajouter qu’elle était déjà en germe dans les imperfections aujourd’hui reconnues de la zone Euro. Pour autant, il ne semble pas que l’on ait une réelle compréhension de ce qu’implique la constitution d’une « Fédération Européenne », et en particulier du point de vue des flux de transferts. Par contre, on commence à en percevoir les contraintes, et ceci en particulier dans l’abandon de la souveraineté budgétaire. La volonté de l’Allemagne de soumettre les budgets à une décision préalable de Bruxelles va, bien évidemment, dans ce sens.
En effet, passer au « fédéralisme » implique que les politiques budgétaires des États membres de la fédération soient contrôlées par le gouvernement « fédéral », en l’occurrence dans la situation actuelle la Commission Européenne. Mais, le « fédéralisme » implique aussi des transferts budgétaires importants, qui existent d’ailleurs dans les États fédéraux, qu’il s’agisse de l’Allemagne, des Etats-Unis, du Brésil ou de la Russie. Le Président russe, Vladimir Poutine, a d’ailleurs parfaitement posé le problème en signalant, lors de la discussion qu’avec des experts internationaux on a eu avec lui, que le passage à une monnaie unique entre pays fortement hétérogènes impliquait des flux de transferts élevés.
I. Le niveau d’hétérogénéité au sein de la zone Euro
Trois éléments permettent de mesurer le niveau d’hétérogénéité de la Zone Euro. Le premier est incontestablement la hausse cumulée de la productivité du travail dans les différents pays. Les niveaux d’origine étaient déjà très différents, avec des écarts de 1 à 3, et l’Allemagne et la France avaient une productivité très élevée en 1998. Logiquement, les autres pays auraient dû rattraper le niveau de productivité. On constate que ceci s’est bien passé pour la Grèce, du moins jusqu’en 2008, et l’Irlande, mais absolument pas pour l’Italie. L’Espagne et le Portugal ont maintenu l’écart que ces pays avaient avec la France et l’Allemagne. La création de l’Euro n’a donc pas engendré de mouvement général de convergence entre les économies, et les écarts de productivité du travail se sont maintenus, voire se sont aggravés dans le cas de l’Italie.
Mais un autre facteur doit être pris en compte, c’est l’inflation induite par les salaires sur longue période. Les écarts sont ici très importants. Dans une situation « normale », ils auraient pu être corrigés par des dévaluations, ce qu’interdit l’appartenance à une monnaie unique. En 2010, l’écart de la Grèce à l’Allemagne était de 50%. Il tend à baisser à la suite de la politique dramatique mise en œuvre en Grèce, mais dont la conséquence a été de plonger le pays dans une dépression extrêmement violente. L’Espagne, qui a maintenu son écart de productivité avec l’Allemagne, à vu son inflation salariale accumuler un écart de 25% avec ce dernier pays, tout comme la France par ailleurs. L’Italie, dont l’inflation salariale apparaît la plus faible par comparaison avec l’Allemagne, accuse un écart de 12%, auquel il faut ajouter pour mesurer l’écart de compétitivité, le retard qu’elle a pris en matière de productivité.
Jacques Sapir