Cette agriculture industrielle, pour laquelle il vaut mieux avoir une formation de gestionnaire et être issu d'une business school qu'être paysan, est pour l'instant extrêmement productive. En un siècle, avec ce que l'on a appelé la révolution verte, les rendements par hectare ont augmenté de 250 %. Cette formidable augmentation de la production de nourriture est due à plusieurs facteurs : tout d'abord au pétrole et à la mécanisation de l'agriculture, qui a permis de cultiver efficacement de très grandes surfaces avec peu de main-d’œuvre. Le pétrole est aussi nécessaire pour permettre le pompage de l'eau et l'irrigation régulière et massive des champs et, dans l'industrie chimique, il aide à la création de pesticides., herbicides, fongicides, etc. Autres facteurs qui entrent en jeu dans cette augmentation : la sélection et l'utilisation de semences plus productives, dont les hybrides, et l'utilisation massive d'engrais, qui est passée de 14 millions de tonnes en 1850 à 141 millions en 2000.
Il est intéressant de bien comprendre comment les engrais son fabriqués. Les trois éléments clés pour la croissance des plantes sont le nitrogène, le phosphore et le potassium. Le nitrogène artificiel que l'on trouve dans les engrais est créé à partir du gaz naturel qui fournit l'énergie pour convertir le nitrogène gazeux, présent en abondance dans l'atmosphère, en ammoniac, qui est une forme de nitrogène que les plantes peuvent absorber. Cette transformation est un processus lourd en énergie : pour fabriquer un kilo d'ammoniac, il faut l'équivalent énergétique d'un kilo de pétrole en gaz naturel. Le prix du nitrogène artificiel, et donc des engrais, va augmenter. Pour le phosphore, qui se trouve dans la nature essentiellement sous forme de phosphates, la situation est plus alarmante : les mines ont des rendements toujours plus faibles, les réserves s'épuisent très vite et ne devraient durer que 30 à 40 ans. Le potassium est, quant à lui, très abondant mais il est obtenu par l'électrolyse de l'hydroxyde de potassium, procédé qui nécessite de l'électricité, donc de l'énergie. Ces engrais sont utilisés pour compenser l'appauvrissement et la stérilisation des sols, usés par la monoculture intensive. En effet, les cinq premiers centimètres de sol fertile nécessitent des centaines d'années pour atteindre un niveau optimal en nutriments, mais peuvent être détruits en quelques années d'agriculture intensive. L'érosion est particulièrement active sur les monocultures où les sols n'ont plus rien à voir avec un terrain sain, qui est un mélange de végétaux divers et de racines entrelacées qui tiennent solidement le sol contre les fortes pluies. Ces engrais vont rapidement passer, par l'effet des pluies et par l'élimination des déchets agricoles, dans les cours d'eau et finir dans les océans. Une concentration trop forte de nitrogènes et de phosphates dans des océans va créer des zones mortes, quasiment dénuées de vie marine du fait de la croissance rapide et de l'expansion meurtrière des algues qui se nourrissent de ces éléments.
Depuis 1985, la production agricole mondiale par habitant n'a fait que baisser. Si l'agriculture industrielle est extrêmement efficace, elle est aussi devenue extrêmement fragile. Pire, car on ne s'en rend pas compte, les productions agricoles industrielles ont aussi perdu de leur capacité nutritive : entre 1938 et 1990, pour le blé et l'orge, la teneur en protéines a diminué de 30 à 50% et celle en minéraux est passée de 22 à 39%. Entre 1920 et 2001, la concentration en protéines, huiles et acides aminés du maïs a diminué de 25%.
La désertification est un autre processus qui s'est accéléré à cause des activités humaines. Souvent, il s'agit de pâturages excessifs sur des terres avec peu de plantes. Lorsque le vent souffle sur ces terres trop dégarnies, la fine couche de sol productif est emportée et il ne reste que de la terre très aride, incapable de retenir les pluies, ce qui empire progressivement la situation. Très vite, le désert s'étend sur ces terres, les rendant stériles. La désertification est un problème pour la Chine où le désert de Gobi n'est plus qu'à 250 kilomètres de Beijing. Sur le continent africain, le problème est massif. Au Nigeria, c'est plus de 3 500 kilomètres carrés de terre qui sont ainsi perdus chaque année !
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique