Le bouleversement déclenché par la technologie et la modernisation des méthodes de commerce est en train de créer des types de communautés entièrement nouveaux qui n'offrent plus qu'une lointaine ressemblance avec les communautés traditionnelles. Darien, autrefois petite ville typique de la Nouvelle-Angleterre, s'est radicalement transformée parce que les cadres supérieurs et spécialisés des grandes entreprises l'ont envahie. Darien n'est d'ailleurs que l'une des centaines de villes qui leur servent de terrains de camping.
Le personnel des grandes entreprises, des agents de maîtrise aux plus hauts niveaux de direction, déménage à la suite d'un transfert ou d'un changement d'entreprise. Et même dans le cas contraire, ils forment un groupe hautement mobile parce que leur métier les oblige à voyager souvent. Ou encore, ils doivent parcourir de grandes distances pour se rendre à leur travail, leur niveau de vie les forçant à habiter les banlieues résidentielles lointaines. A Darien, la population est composée, en grande majorité, d'hommes qui ont été transférés, qui doivent faire 60 kilomètres pour se rendre à leur travail, et que leur métier oblige à entreprendre fréquemment de longs voyages. Darien est une ville de passage, une ville-dortoir, et une ville d'hommes qui voyagent. Elle semble donc être une ville modèle pour les cadres hautement mobiles des grandes entreprises.
Ces cadres sont transférés pour une série de raisons dont le but est d'élever le rendement de l'entreprise. On croit bon d'avoir des hommes aussi interchangeables que possible. [...]
Les grandes entreprises pensent aussi que le personnel chargé des responsabilités a besoin d'enrichir ses connaissances commerciales en faisant des stages dans les différentes filiales de la compagnie.
En outre, il ne faut pas oublier que la technologie moderne exige un nombre incalculable de spécialistes susceptibles d'être envoyés sur de nouveaux chantiers ou des filiales en difficulté pour un jour, un mois ou un an. Business Week, qui estime que le cadre d'une grande société passe, en moyenne, au moins un tiers de son temps en voyages, et généralement en avion, explique : "Il n'y a pas si longtemps, on pouvait envoyer un bon administrateur s'occuper d'une filiale lointaine et le laisser se débrouiller tout seul." Aujourd'hui, ajoute la revue, "les opérations commerciales se font sur une trop grande échelle, sont devenues trop complexes et trop concurrentielles. Elles exigent un va-et-vient incessant de spécialistes - responsables de la sécurité, psycho-sociologues, acheteurs, experts financiers, avocats et techniciens - pour faire marcher la boutique".
Sans oublier les mouvements pendulaires intensifs autour des villes où sont installés les bureaux de vente des compagnies nationales. Ceux d'un grand nombre de compagnies qui opèrent en Caroline du Nord et en Caroline du Sud se trouvent à Charlotte, en Caroline du Nord. Selon une estimation, dix mille agents commerciaux environ quittent la ville tous les lundis matins pour faire le tour des bureaux ou des succursales des environs.
Récemment, la fusion de nombreuses entreprises a également contribué au va-et-vient et à l'instabilité d'une certaine catégorie du personne, tandis qu'on élimine le "bois-mort" et qu'on installe de nouveaux directeurs à la tête des compagnies absorbées. Et puis, bien sûr, un homme est toujours à la merci d'un supérieur qui veut se débarrasser d'un rival en puissance.
C'est pour toutes ces raisons qu'on a pu observer, ces quinze dernières années, un accroissement prononcé et généralement régulier de la courbe de mobilité du personnel à partir du contremaître des grandes entreprises, avec quelques indentations vers le haut lors des périodes de récession. Plus les hommes occupent des postes importants et moins ils ont de chance d'être déplacés, mais ils peuvent très bien être attirés par une compagnie plus importante.
Selon une enquête, menée par United Van Lines (entreprise de déménagements), la proportion de compagnies déclarant déplacer systématiquement leur personnel a augmenté considérablement sur une période de quatre ans. Environ un tiers des compagnies interrogées ont reconnu pratiquer une telle politique.
La prolifération d'entreprises fixées à l'étranger qui sont contrôlées totalement ou en partie par de grandes sociétés américaines exige l'existence de familles hautement mobiles.Vance Packard, Une société d'étrangers