Fin décembre, au micro d’Europe 1, dans l’émission « Médiapolis », Michel Rocard fut l’auteur de déclarations on ne peut plus intéressantes qui, malheureusement, ne furent pas l’objet de reprises dans les autres médias.
Le propos de Michel Rocard est le suivant : la réforme de la Banque de France de 1973 a interdit que celle-ci prête à l’État à taux zéro. L’État est donc allé emprunter avec intérêt sur les marchés privés. Si nous en étions restés au système précédant, qui permettait, répétons-le, à la Banque de France de prêter à l’État à taux zéro, notre dette serait de 16 ou 17 % du PIB, soit bénigne.
Les deux journalistes chargés de l’interviewer ne réagirent pas, comme si Rocard avait dit là une banalité. Pourtant, il venait de leur dire que tous les fameux « sacrifices », prétendument inéluctables, auxquels le peuple français devait consentir, ou encore la rigueur imposée par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), n’étaient pas une fatalité mais la résultante d’un choix de politique de dette. Et d’ajouter que, contrairement à ce qui est véhiculé depuis des années dans les grands médias, la France n’avait pas vécu « au-dessus de ses moyens » mais qu’elle avait dû débourser, au titre d’un simple jeu d’écriture, alors qu’aucune nécessité économique ne l’exigeait, des centaines de milliards d’euros constants au profit des marchés financiers. Il leur disait encore que la crise des dettes souveraines était parfaitement artificielle et qu’il suffirait de revenir à la création monétaire publique pour qu’elle soit réglée sans heurt. Mais nos journalistes, disions-nous, ne bronchèrent pas.
Michel Rocard, en revanche, se moque un peu du monde quand il affirme que la loi de 1973 fut simplement adoptée pour « imiter les Allemands », comme si l’objet de cette loi était de limiter l’inflation. Non. Cette loi a simplement permis de créer un marché interbancaire des obligations d’État. Contrairement aux thèses libérales vieillottes, les marchés ne naissent jamais « spontanément ». Ils sont des créations politiques ad hoc, comme, par exemple, le marché des devises, résultant de la mise en place du système de change flottant.
On peut également déplorer que Michel Rocard ne nous ait pas dit pourquoi il ne tenta pas, du temps où il était Premier ministre, d’abroger cette loi « stupéfiante » selon ses propres dires et pourquoi le sujet est aujourd’hui encore tabou.
Mais ne soyons pas trop dur avec Michel Rocard. Reconnaissons-lui d’avoir mis un terme à la conspiration de silence et de l’ignorance qui sévit depuis des décennies dans la classe politique française.
Adrien Abauzit pour Boulevard Voltaire