Parmi les milliers de pages que la littérature contemporaine a consacrées au problème de la rationalisation des choix individuels, je me contenterai de citer un texte, il est vrai particulièrement emblématique, de Bertrand Lemennicier. Les analyses de cet idéologue libéral ont, en effet, si visiblement enthousiasmé le ministre Luc Ferry (qui y retrouvait sans doute ses idées réelles sur la famille) que ce dernier a absolument tenu à lui confier, avec d'autres membres de son courant (comme Pascal Salin ou Gérard Bramoullé), la direction effective du jury d'agrégation des sciences économiques, afin qu'ils puissent préparer idéalement les générations futures à la nouvelle vie rationnelle qui les attend. "Envisageons la situation d'un individu - écrit Lemennicier - qui hésite entre deux femmes : l'une est très instruite, l'autre ne l'est pas. Pour bénéficier des faveurs de la femme instruite, il doit redistribuer une part suffisante des gains du mariage pour la convaincre de l'épouser en lui assurant un niveau de vie au moins équivalent à celui qu'elle aurait eu en restant célibataire. En revanche, avec la femme moins instruite, la part sacrifiée sera plus faible. Le coût d'opportunité d'un mariage dépend donc du salaire auquel peut prétendre la femme sur le marché du travail. Mais il ne dépend pas que de cela. La femme peu instruite est peut-être plus jolie, sensuelle et affectueuse, ou la probabilité qu'elle le soit est plus élevée. Supposons cependant une identité des attributs autre que le niveau d'instruction. Le coût d'opportunité d'une femme instruite est mesuré par son salaire. Il est plus élevé qu'avec une autre femme, car pour obtenir les mêmes services, il devra payer plus cher. Certains services, comme la qualité des enfants, ne sont pas indépendants du niveau d'instruction de l'épouse et cela nuance le comportement de l'homme désirant une production domestique de qualité. Cette restriction mise à part, les hommes devraient épouser des femmes moins instruites ou, en tout cas, moins instruites qu'eux." J'épargne au lecteur la mise en équation mathématiques de ces nouvelles aventures libérales de Roméo et Juliette.
Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal