Les déséquilibres induits par la monnaie unique faisaient leur chemin au sein des économies de pays de la zone euro. Si la crise de 2007-2008 a donné une impulsion décisive à la crise de l'euro, il convient de dire que cette dernière n'attendait qu'un grand désordre de l'économie mondiale pour se révéler.
Cette crise est devenue une réalité à l'été 2009 quand l'accumulation de dettes a atteint un seuil critique en Grèce, en Irlande et au Portugal. A l'été 2011, elle a pris un tour dramatique qui prouve que le processus va empirant. On peut d'ailleurs constater la montée d'une fatigue de l'euro, qui est perceptible, que ce soit dans les opinions publique, où désormais nous avons une majorité de personnes se prononçant contre une aide supplémentaire à la Grèce, ou au sein des gouvernements où le découragement désormais se fait jour.
Cette crise se combine aussi aux inquiétudes que suscite la situation aux États-Unis. La perte par ce dernier pays de sa note AAA prouve qu'il n'est pas sorti de la crise dite des subprimes. De plus, les perspectives de croissance y sont très faibles. Premier pays frappé par la crise de 2007, il n'a pas retrouvé une dynamique de développement saine et s'enfonce lentement dans une double crise d'endettements tant de l'Etat fédéral que des ménages. Les réactions des pays émergents, menés par la Russie et la Chine, face à la politique monétaire menée par Washington sont de plus en plus vigoureuses.
La concomitance de ces crises contribue cependant à en obscurcir le sens. Elle masque en particulier ce que la crise dans la zone euro a de spécifique et les effets de la monnaie unique qui l'aggravent. Mais elle nous rappelle que, dans un monde de finance globalisée, des liens étroits unissent les différents problèmes. Que l'euro vienne à disparaître et c'est le dollar qui se trouvera en première ligne face à la spéculation internationale qui se déchaînera alors. Gageons qu'il ne tardera guère à sombrer.
Nombreux sont ceux qui pensent que la crise de l'euro réjouit les dirigeants américains. Ils se trompent lourdement. Un euro affaibli politiquement mais présent, concentrant pour plusieurs années encore l'attention des spéculateurs internationaux et freinant le développement des économies européennes, est bien la meilleure des situations pour les dirigeants de Washington. C'est bien pourquoi ces derniers multiplient les initiatives pour forcer la main des pays européens et pour que soit mis en place un nouveau plan de sauvetage de la Grèce.
Ainsi, pour des raisons aussi diverses qu'il y a de pays concernés, des deux côtés de l'Atlantique les dirigeants affirment-ils leur volonté de défendre l'euro.
Mais les faits sont têtus !
Et quand on les méprise, ils se vengent.
Les argumentations controuvées des uns et des autres, les plaidoyers pro domo de politiciens aux abois, les arguties dans un jargon pseudo-technique dans lesquelles se complaisent les bureaucrates de Bruxelles n'y changeront rien. La monnaie unique européenne, qui fut à son origine source de tant d'espoirs, n'a tenu aucune de ses promesses. Elle meurt aujourd'hui de l'échec du projet politique qui lui avait donné naissance, le "fédéralisme furtif", et de la divergence des dynamiques économiques des pays membres, divergence exacerbée par la politique de l'Allemagne.
Ce qui est infiniment plus grave que la mort de l'euro dans sa forme actuelle, c'est que le principe même de coordination monétaire risque de mourir avec lui. Et la question est aujourd'hui posée : peut-on sauver ce principe de coordination, avec ce qu'il implique de flexibilité pour chaque pays et de coopération entre pays, du désastre qui attend l'euro ?
Jacques Sapir, Faut-il sortir de l'euro ?