Le débat s’anime ! Voilà déjà une bonne demi-heure que nous discutons vivement. Seul contre tous je dois défendre mes idées. Les attaques sont nombreuses et fusent de façons plus ou moins virulentes. Dans ce joyeux chahut, où il est difficile de cerner la limite entre camaraderie ironique et franche agressivité, tous les sujets sont passés en revue : pratique religieuse, position du pape, place occulte de la religion à travers les temps, mariage pour tous… Sans parler du croustillant sujet de l’interdiction de la capote ! Ce dernier est présenté comme l’arme fatale ; sommet des preuves de la position archaïque de l’Église Catholique. Je me trouve ainsi face à un auditoire consterné et pantois d’incompréhension, pour lequel je m’efforce de peser chaque mot et réexpliquer les bases des vraies idées et valeurs qui sont les miennes. Dans des explications infinies je fais de mon mieux pour déjouer la mauvaise foi, ne pas répondre aux attaques stériles et idiotes et finis par m’user à argumenter des idées face à un public feignant une grande ouverture d’esprit. Néanmoins, reste qu’un catholique, se levant chaque dimanche pour aller à la messe et faisant de son mieux pour suivre le message du Vatican : voilà typiquement l’individu dont ils n’avaient eu connaissance que dans une chanson sarcastique de Brel ou dans les lignes de Marcel Pagnol. L’incompréhension et le décalage de nos pré-requis finissant par rendre la discussion impossible, j’entends une dernière réflexion : « Enfin quand même, il faut vivre avec ton temps… ». Ce dernier coup faisant l’unanimité, m’achève. Il est l’heure de se quitter et je laisse cette affirmation sans réponse. Cette situation, je l’ai connue un nombre incalculable de fois…
Pourtant Non !! Il ne faut pas vivre avec son temps ! Vivre avec son temps : cette réflexion entendue et réentendue voudrait dire que, parce que le plus grand nombre, dans un contexte sociétal et temporel précis défend une idée, cette idée doit être approuvée de tous ? Alors devrais-je, parce que c’est dans l’air du temps, abandonner mon propre jugement et mes convictions, laisser mes idées et me fondre dans une masse qui vit avec son temps ? Non, seulement il n’en est pas question, mais en plus devoir vivre avec son temps me paraît particulièrement risqué. N’avons nous pas assez d’exemples historiques de dictatures où l’ensemble de la population marchait dans une direction unique, levant le bras droit ou brandissant le poing gauche ? Mais pourquoi en vouloir à ces personnes ? Elles ne faisaient que vivre avec leur temps ! Bien évidemment cette illustration est brutale et polémique, mais elle montre la dangerosité de suivre un modèle, pour la seule raison qu’il est dans l’air du temps. Les exemples historiques nous montrent que la pensée unique est destructive pour une civilisation. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de voir comme une invitation à la pensée unique l’argument : « Enfin quand même, il faut vivre avec ton temps… ».
Je suis d’ailleurs d’autant plus étonné que ces personnes qui ne comprennent pas ma vision des choses, se prétendent particulièrement tolérantes et ouvertes à la diversité. Ne suis-je pas simplement un élément de la diversité ? À ce titre ne devrait-on pas me laisser dans la plus grande indifférence au nom de la tolérance ? Eh bien justement non, ces personnes extrêmement tolérantes ne supportent pas que quelqu’un ne dise pas oui à tout : Oui au mariage pour tous, oui à la totale liberté sexuelle, oui à la théorie du genre, oui à la recherche sur des embryons… Se dresser en disant "Non" est aujourd’hui vu comme un dangereux tacle à la vénérée tolérance, aux droits de l’homme et à la liberté. Je refuse pourtant d’être bâillonné au nom de la liberté !
Ainsi, je vois dans l’expression : Il faut vivre avec son temps, la crainte de sentir dans son entourage des personnes ayant des idées à contre-courant. Ceci est d’après moi particulièrement menaçant : c’est l’apologie d’un modèle d’hommes et de femmes stéréotypées, moulées dans un relativisme ambiant « que la foule grignote comme un quelconque fruit » (Jacques Brel, Orly). Ainsi vivons dans notre temps mais refusons de vivre avec notre temps !
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