Dans 48% des décès, les médecins ont appliqué la loi Leonetti en soulageant les souffrances des patients au risque d'abréger leur vie, selon une étude de l'Ined.
En France, près de la moitié des décès surviennent après une décision médicale qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie. Comme l'autorise la loi, le médecin a arrêté un traitement qui prolongeait la vie ou intensifié un traitement sédatif contre la douleur, en ayant conscience que cela risquait d'entraîner la mort de son malade. L'étude sur les décisions médicales en fin de vie, rendue publique lundi par l'Institut national d'études démographiques (Ined), met ainsi en évidence l'ampleur de la médicalisation de la mort, qui survient aujourd'hui principalement à l'hôpital ou en institution.
Très attendue, l'enquête publiée dans la revue BMC Palliative Care livre pour la première fois des éléments chiffrés visant à alimenter la réflexion sur l'euthanasie, ce alors que les conclusions de la mission de concertation confiée par le président de la République au Pr Didier Sicard sont attendues à la fin du mois.
Il aura fallu plus de deux ans de travail aux chercheurs de l'Ined pour établir un questionnaire, et garantir l'anonymat, sur un sujet éminemment sensible. L'étude porte sur plus de 5000 décès survenus en décembre 2009 à l'hôpital, en maison de retraite ou à domicile. L'enquête pointe la grande complexité des situations de fin de vie. Dans 17 % des cas, le décès est survenu de manière «soudaine et inattendue», excluant de ce fait toute intervention médicale. Pour 48 % des morts, le médecin déclare avoir pris une décision susceptible d'entraîner la mort, le plus souvent sans intention de la provoquer.
Euthanasie marginale
Mais l'étude montre aussi que 3,1 % des décès font suite à un acte visant délibérément à abréger la vie, par un arrêt du traitement ou une intensification de la sédation. Dans 0,8 % des décès, des médicaments ont même été administrés afin de donner la mort (dont 0,2 % à la demande du patient). Aujourd'hui illégale, l'euthanasie est ainsi pratiquée de façon marginale, selon l'Ined. Elle concerne principalement les malades souffrant de cancer.
Les autres décisions médicales de fin de vie ont été prises dans l'objectif de tout mettre en œuvre pour éviter la mort (12 % des décès), ou sans considérer que cela pouvait accélérer la mort du patient (23 %).
«La France se situe dans les pays européens ayant un faible pourcentage de décès assistés, bien en dessous de pays ayant légalisé l'euthanasie, comme la Belgique et les Pays-Bas», souligne les auteurs de l'étude. Les demandes explicites d'euthanasie émanant des patients sont également rares. Selon les médecins sondés, elles concernent 1,8 % des décès sur les 2 200 qui ont fait l'objet d'une décision médicale en fin de vie. Cela dit, 16 % des malades ont exprimé à un moment ou un autre le souhait de hâter leur mort.
«Si la loi Leonetti est mise en œuvre dans près d'un décès sur deux, ses conditions d'application semblent insuffisantes», souligne Régis Aubry, chercheur associé à l'étude et président de l'Observatoire national de la fin de vie, qui pointe «une marge importante de progression des pratiques médicales en matière de respect des personnes». De fait, l'étude montre que les décisions de fin de vie ne sont pas toujours discutées avec les patients et les équipes soignantes, comme l'impose la loi Leonetti. Plus de deux tiers des patients concernés par un arrêt des traitements n'ont pas été jugés par le médecin «en capacité de participer à la décision». Mais, lorsque le malade était jugé apte, 10 % des arrêts de traitement, des intensifications de sédation et des administrations de substances létales n'ont pas été discutés avec lui.
Les décisions font l'objet d'un débat avec l'équipe médicale dans 63 % des cas, avec un autre médecin dans 44 % des cas, et la famille est associée dans un décès sur deux. Mais 8 % des médecins déclarent n'avoir discuté avec aucune personne de l'entourage familial ou médical. Or, selon Régis Aubry, «il est établi que l'isolement conduit à des décisions radicales».
La directive anticipée méconnue
Selon l'étude de l'Ined, seuls 2,5 % des patients ont rédigé une directive anticipée, autrement dit une expression de leurs souhaits pour leur fin de vie au cas où ils seraient incapables de participer à la décision médicale. Cette possibilité a été prévue par la loi Leonetti. L'enquête montre que cette disposition est encore largement méconnue du grand public. «Pourtant, lorsque ces directives existent, les médecins déclarent qu'elles ont été un élément important pour 72 % des décisions médicales de fin de vie», notent les auteurs de l'étude. À leurs yeux, «cela pose très clairement question de l'appropriation des directives anticipées par les patients, mais aussi par les professionnels de santé». Une réflexion est d'ailleurs menée actuellement pour les rendre plus contraignantes, afin de s'assurer que les droits et la volonté du malade sont respectés.
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