Au cours de ce dernier siècle, le nombre de personnes dédiées à l'agriculture a fortement baissé et l'activité agricole a été elle-même réorganisée sur une échelle sans précédent. On est passé d'une époque où le fermier connaissait tous les outils et les moindres détails de son activité à un monde où le fermier est devenu un gestionnaire, un ingénieur, un trader. Le degré de sophistication et de technologie est impressionnant. Sous cet angle, le système de l'industrie agricole des États-Unis est une success story : mécanisation et industrialisation de la production de nourriture capable de produire céréales, végétaux et animaux, le tout de plus en plus abondamment génétiquement modifié, pour fournir la population en doses massives de nourriture à haute teneur en graisses et protéines, avec des quantités massives de sel et de sucre des produits chimiques mystérieux, sans parler des aberrations telles que de donner à manger à des ruminants de la farine composée à partir de carcasses animales... Cette industrie, ces usines de nourriture ne sont possibles que grâce au pétrole (essentiellement sous forme de diesel pour les machines agricoles et le transport) et au gaz naturel (pour produire les engrais).
Notre monde moderne et son agriculture industrielle nourrissent plus de gens que jamais auparavant, et ce avec un tout petit nombre d'agriculteurs. La productivité par hectare est plus forte que jamais. Malheureusement, ces gains en productivité ont aussi un coût caché. Les sols s'appauvrissent et leurs composants nutritifs disparaissent. Une poignée de sol sain contient des milliards de bactéries, de champignons, de protozoaires, de nématodes, ainsi que des vers de terre, des arthropodes et bien d'autres petites bêtes utiles. L'agriculture intensive élimine tout cela et rend rapidement le sol stérile.
Il y a une bonne raison pour laquelle dans le mot agriculture, il y a culture. Cette culture de la terre, je dirais même amour de la terre, est faite de connaissances, de compétences, d'astuces, de secrets, de méthodes de travail acquises au fil des siècles et transmises avec soin - et amour, justement - d'une génération à la suivante. De père en fils. De mère en fille.
En moins d'un siècle, aveuglés par la facilité que l'énergie fossile nous a apportée, nous avons jeté tout ce savoir à la poubelle. Nous avons transformé les fermes en de véritables usines automatisées. L'agriculture est passée de la gestion familiale et communautaire à une gestion industrielle et globale. Dans cette industrie, il faut 16 calories énergétique pour créer une calorie de céréales, 70 calories énergétiques pour créer une calorie de viande. Il faut, en gros, 2 kilos de céréales pour produire 1 kilo de poisson ou de volaille, 4 kilos de céréales pour produire 1 kilo de viande porcine, 7 kilos de céréales pour produire 1 kilo de viande bovine. Cela a un coût en termes de surface agricole. Sans parler dans la plupart des cas, des conditions atroces de production et d'abattage dans ce qu'il faut bien appeler des usines à viande. Usines où l'on constate des comportements qui n'auraient jamais été concevables du temps de nos grands-parents. Dans l'élevage, par exemple, les animaux sont traités avec une cruauté inouïe, qui dépasse de loin les pires crimes que les humains ont pu commettre dans leur histoire. Et ce sur une échelle massive : rien qu'aux États-Unis, plus de 9 milliards d'animaux sont tués chaque année. Au-delà de la question éthique, c'est celle de la qualité de la nourriture ainsi produite qui se pose, sans même parler de la pollution que provoquent des centaines de millions de litres d'excréments saturés d'hormones de croissance, d'antibiotiques et de produits chimiques dont on ne sait que faire et qui finissent par s'infiltrer dans les nappes phréatiques et les cours d'eau.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique