Les Etats-Unis sont peut-être sur le point de déployer une arme d’un nouveau genre contre la Russie : leur contrôle sur le système bancaire mondial, étayé par leur réseau d’alliances et l’accord résigné des pays neutres, affirme Ambrose Evans-Pritchard dans le Telegraph. Il n’hésite pas à parler de « bombe à neutron financière » pour qualifier cet instrument de guerre économique qu’il a surnommé le « Projet Manhattan du 21ème siècle » (le nom de code du projet qui a abouti au développement de la première bombe atomique aux Etats-Unis).
« Le nouveau jeu géopolitique est peut-être plus efficace et subtil que les compétitions géopolitiques du passé, mais il n’en est pas moins brutal et destructeur », écrit Juan Zarate, un haut fonctionnaire du Trésor américain, dans son livre : « Treasury's War: the Unleashing of a New Era of Financial Warfare », qui est l’un des architectes de ce programme.
Le déclencheur de cette mesure est l’émission d’une « lettre écarlate », dont la procédure est décrite dans la Section 311 de l’US Patriot Act, un ensemble de règles qui ont été édictées après les attentats du 11/9 pour lutter contre le financement du terrorisme. Dès qu’il est avéré qu’une banque participe au financement d’activités terroristes ou de blanchiment d’argent, elle devient « radioactive » et « prise dans l’étreinte fatale du boa constrictor », écrit Zarate. Concrètement, les Etats-Unis vont intervenir pour stopper toutes les transactions qu’elle pourrait avoir avec d’autres institutions financières afin de supprimer ses possibilités de financement et étouffer ses activités. Le procédé est efficace, même si la banque en question n’effectue aucune opération aux Etats-Unis. Les banques européennes et chinoises se soumettent aux diktats des régulateurs américains, et participent à ce boycott.
Ce dispositif aurait été utilisé une première fois contre l’Ukraine en décembre 2002. Les banques ukrainiennes ont été accusées de blanchir de l’argent provenant de réseaux mafieux russes. La Birmanie, Chypre, la Biélorussie, la Lettonie, la Corée du Nord et l’Iran en ont aussi été des cibles.
Mais avec la Russie, cette guerre pourrait prendre une nouvelle dimension. La Russie est le plus gros producteur d’énergie au monde, elle détient un des arsenaux nucléaires les plus puissants du monde, des équipes scientifiques de premier plan, et elle est étroitement liée aux économies de l’Est de l’Europe, ainsi qu’à l’Allemagne. Zarate estime qu’il est déjà trop tard pour reprendre le contrôle en Ukraine, que la Maison Blanche tergiverse trop, et qu’elle aurait déjà dû commencer à resserrer le nœud coulant. « Ils devraient arrêter de prendre des gants. Plus ils attendent, et plus ils devront mettre le paquet », dit-il.
Il pense qu’il s’agira d’une escalade calibrée, et que la « lettre écarlate » serait dans un premier temps émise contre les banques russes qui aident le régime de Bachar el-Assad en Syrie. Les sociétés d’armement russes, celles qui exportent des matières premières et de l’énergie pourraient aussi être ciblées – en essayant de ne pas impacter les intérêts de BP en Russie, précise-t-il. Au pire, les Etats-Unis pourraient tenter d’étouffer Gazprom.
« Le président Poutine sait exactement ce que les Etats-Unis peuvent faire avec leurs armes financières. La Russie avait été incluse dans la boucle à l’époque où les deux pays étaient « alliés » dans la bataille contre le terrorisme jihadiste. M. Poutine avait nommé le loyaliste Viktor Zubkov, l’ex-Premier ministre pour s’occuper des relations avec le Trésor américain », écrit Evans-Pritchard.
Les pays qui ont soutenu la Russie dans la crise ukrainienne, le Venezuela, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie, le Soudan, le Zimbabwe et l’Arménie, sont déjà étiquetés comme des pays « marginaux » et trop peu nombreux pour que Poutine puisse s’appuyer dessus. Depuis le début de la crise, la banque centrale russe tente de défendre la parité du rouble en vendant ses réserves de dollars. Celles-ci ont fondu de 35 milliards de dollars, et poursuivre cette politique risque d’aggraver la récession qui se profile en Russie.
Selon Harold James, un professeur de Princeton, le monde est tellement interdépendant qu’il ne sera pas possible de contenir les effets de cette guerre financière et qu’elle pourrait déclencher une réaction en chaîne comparable à celle qu’a provoquée la chute de la banque Lehman Brothers en 2008. « Lehman était une petite institution comparée aux banques autrichiennes, françaises et allemandes qui sont très exposées au système financier russe. Un gel de actifs russes pourrait être catastrophique pour les marchés financiers européens, et en fait, ceux du monde entier », estime-t-il.
Cependant, la banque de Russie vient d’imposer des stress-tests simulant un gel des comptes et une incapacité de se refinancer à l’étranger pour les banques russes. Selon les premiers résultats, le système bancaire russe tel qu’il était au début de l’année 2014 pourrait survivre à ce scenario.
Pour l’instant, les Américains n’ont sanctionné qu’une seule institution financière russe pour l’annexion de la Crimée, la banque Rossiya. Mais les Russes s’attendent à ce que la plus grande banque russe, Sberbank, se retrouve en ligne de mire. La Russie prépare actuellement un nouveau système de paiement national qui pourrait se substituer à Visa.
D’après Evans-Pritchard, les Russes pourraient riposter en lançant des cyber-attaques, un domaine où ils ont démontré leur expertise en 2007 contre l’Estonie. En 2012, Leon Panetta, le secrétaire de la Défense américain, avait mis en garde contre un possible « Cyber Pearl Harbour » : « Ils pourraient fermer le réseau électrique sur de vastes pans du pays. Ils pourraient faire dérailler des trains de passagers, ou, encore plus dangereux, faire dérailler des trains de passagers contenant des produits chimiques dangereux. Ils pourraient contaminer les sources d’alimentation en eau dans des grandes villes », avait-il dit.
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